Bière préférée aux abonnés absents, beurre de cacahuète trois fois plus cher que dans son pays d’origine… Raficka Hellal-Guendouzi, chercheuse au Bureau d'économie théorique et appliquée (Beta), s’est penchée à travers une thèse, réalisée sous la direction de Sihem Dekhili et soutenue en décembre 2020, sur les expériences d'expatriation et les comportements de consommation. Et ce en étudiant le cas de l'acculturation alimentaire des expatriés professionnels et de leurs familles.
02/03/2021
Pourquoi ce sujet de thèse ?
J’ai toujours eu un intérêt pour la thématique de l’alimentation en lien avec la diversité culturelle. Durant mon master en 2006 je me suis intéressée à l’acculturation alimentaire des immigrés nord-africains en France. Une problématique que j’ai continué de côtoyer dans mes différents emplois. Notamment au sein d’une entreprise où j’étais en charge de l’étude des comportements alimentaires pour la zone Amérique latine et Moyen-Orient. J’ai également été très active au sein de l’association Smile à Strasbourg qui organisait des apéros culturels réunissant des expatriés. Actuellement enseignante à l’Ecole de management de Strasbourg, ce projet de thèse c’est à 50% un objectif personnel et 50% professionnel.
Vous étudiez le cas de l'acculturation alimentaire des expatriés, qu’est-ce que cela signifie ?
L’acculturation c’est l’ensemble des changements qui se produisent lorsqu’une personne est au contact d’une autre culture. Dans le cadre de l’immigration, les habitudes alimentaires sont les dernières à disparaitre. Dans ce domaine, il existe de nombreuses études sur les effets de la culture d’origine et celle d’accueil. Pour ma part, j’ai décidé de m’intéresser aussi à l’influence de la sous-culture régionale et plus précisément alsacienne ainsi qu’aux cultures transnationales. Mon objectif étant de déterminer si des acculturations antérieures peuvent influer sur l’acculturation actuelle. Sans oublier de dégager les différentes phases de l’acculturation par lesquelles passent les expatriés mais aussi leurs profils. Des données qui vont pouvoir aider les professionnels du marketing.
Vous avez choisi des populations aisées de trois nationalités, pourquoi ?
Je me suis intéressée à 16 foyers américains, britanniques et allemands soit environ 25 personnes, en utilisant la méthode des récits de vie qui m’a permis de balayer jusqu’à parfois 20 ans d’acculturation. En Alsace, les données montrent qu’il y a beaucoup d’entreprises étrangères de ces nationalités qui sont peu étudiées. Les études portant plus sur les migrants et les expatriés venant de pays en voie de développement. Les expatriés hautement qualifiés sont une population intéressante à étudier car ce sont des personnes qui capitalisent sur leur expérience, ils ont une plus grande adaptabilité, il y a un facteur protecteur de l’éducation et du niveau de revenu qui rend l’acculturation plus aisée.
Parlez-nous des quatre modes d’acculturation que vous avez identifiés ?
Le premier est le mode de l’intégration, il concerne 80% des interrogés. Les expatriés adoptent les habitudes alimentaires du pays d’accueil tout en maintenant une partie de celles de leur pays. Plus ils sont présents depuis longtemps, plus ils tendent à délaisser leurs habitudes d’origine. Les expatriés allemands ont le taux de maintien des habitudes le plus faible. Ils adoptent plutôt les pratiques alimentaires françaises considérées comme plus exotiques pour eux que celles alsaciennes. Au contraire, les Britanniques et les Américains optent plus facilement pour les mets alsaciens plus proches de leurs habitudes avec une cuisine généreuse à base de pommes de terre, de viande… alors que la culture française est perçue comme plus gastronomique. Le deuxième mode est celui de l’hyperculture, les expatriés adoptent des plats emblématiques de leur culture d’origine pour affirmer leur identité. Le troisième est le mode du cosmopolite dans lequel les expatriés s’orientent vers des cuisines du monde avec une perduration des acculturations antérieures. Et le dernier, le métissage, concerne les expatriés qui adaptent leurs recettes en fonction des produits disponibles dans le pays hôte.
Afin de mieux répondre à la demande des expatriés, vous dégagez des recommandations pour la grande distribution, quelles sont-elles ?
Les Américains trouvent qu’en Allemagne il y a plus de produits de substitution qu’en France. Il faut notamment travailler à une meilleure disponibilité des produits alimentaires du monde mais aussi sur leur accessibilité et visibilité. En Alsace, il y a une forte mise en avant de la marque Alsace au détriment des produits étrangers mieux valorisés dans d’autres villes comme Paris. La politique de prix est également rédhibitoire pour les expatriés qui refusent de payer des produits parfois trois fois plus chers. Une interface bilingue pour s’orienter serait également utile car l’agencement des supermarchés n’est pas du tout le même qu’en Amérique et en Grande-Bretagne. Les horaires d’ouverture sont aussi un problème : certains expatriés parlent de « choc » lorsqu’ils découvrent que les magasins sont fermés après 20h et le dimanche.
Propos recueillis par Marion Riegert
Vue d’ailleurs
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Des barbares au raffinement… « Les expatriés sont écœurés par les rognons, les tripes. L’image des barbares revient souvent du fait que l’on mange des cuisses de grenouilles. A l’inverse les Britanniques sont étonnés par le fait que tout le monde mange ensemble à table, se souhaite un bon appétit, c’est perçu comme très raffiné. »
Du midi au vendredi, pas un chat. « Les Américains mangent d’ordinaire sur leur poste de travail, alors qu’en France ça ne se fait pas et il est d’usage de faire une coupure. Certains allaient manger leur sandwich dans leur voiture pour garder leurs habitudes. Les Britanniques étaient également étonnés qu’il n’y ait personne dans la rue le vendredi soir, là où chez eux les personnes se regroupent autour des pubs avec une bière. »
Fish and chips forever. « La to-do list des Britanniques pour recharger leurs batteries avant le retour en France c’est un bon English Breakfast, un chicken massala, des fish and chips. Chez les Américains c’est plutôt des plats mexicains et de la bière. »
Oh bière, oh désespoir. « Un Américain était tellement désespéré de ne pas trouver sa bière que sa femme racontait qu’il avait perdu du poids. Il avait même parcouru l’Allemagne et le Luxembourg pour tenter de la dénicher. Le même a été très déçu de ne pas pouvoir manger mexicain lors du Super Bowl, faute d’une offre internationale suffisante à Strasbourg. »