Avec Tournée minérale, les Belges étaient invités à relever un défi : délaisser les boissons alcoolisées le temps du mois de février. Alors que cette initiative vient de se terminer, que penser des campagnes de prévention contre l’abus d’alcool ? Sont-elles efficaces ? Dans le cadre de ses recherches, Florence Spitzenstetter, maître de conférences au Laboratoire de psychologie des cognitions, explore ces questions. Interview.
01/03/2017
Comment vous intéressez-vous à la consommation d’alcool ?
Le point de départ de mes travaux est de comprendre ce qui nous pousse à adopter des comportements à risque. Plus précisément, je m’intéresse à ce qui influence notre perception des risques. Comment, par exemple, une comparaison aux autres peut-elle influencer cette perception et impacter mes comportements ? Cela m’a amenée à m’intéresser aux campagnes de prévention, en particulier celles qui mettent en scène des jeunes prenant des risques. La question principale est de savoir si les jeunes qui voient ce type de campagne sont susceptibles de s’identifier au personnage.
Comment travaillez-vous ?
En tant que chercheurs, on essaye de reproduire dans des conditions expérimentales ce qui caractérise ces campagnes de prévention. Nous créons alors plusieurs versions de messages et vidéos en changeant à chaque fois un seul élément. Par exemple la nature du produit consommé : alcool versus soda. En présentant ensuite ces différents messages ou vidéos à des personnes, nous pouvons observer chez elles les variations induites au niveau de leur perception du risque et/ou de leur comportement selon le message qu’elles ont vu.
Qu’avez-vous pu mettre en évidence ?
Les campagnes de prévention mettent souvent en scène des « standards » qui ressemblent à la population ciblée (même âge, même style de vie …) et qui adoptent un comportement négatif (consommation excessive d’alcool, par exemple). Dans ce cas, nos études montrent qu’en dépit des points de ressemblance, le processus d’identification ne s’opère pas. Les personnes qui consomment de l’alcool et visionnent ce type de message semblent plutôt se distancier des personnages mis en scène. Elles parviennent ainsi à la conclusion qu’elles sont différentes de ce standard et sont plus prudentes. Elles n’ont par conséquent aucune raison de changer de comportement.
A quoi cela tient-il ?
Ce qui est en jeu, c’est vraisemblablement l’image que les gens veulent garder d’eux-mêmes. Dans la mesure où le standard se comporte de façon négative, ils ne peuvent ou ne veulent pas s’identifier à lui. C’est le phénomène de contraste qui prend le dessus.
Que faudrait-il faire pour rendre ces campagnes plus efficaces ?
Une première option pourrait consister à mettre en scène des comportements moins extrêmes. Plus le comportement négatif du standard mis en avant est extrême, plus il y a de risques qu’une distanciation se mette en place. Faire référence au mauvais comportement de façon plus subtile permettrait de renvoyer les personnes à leurs habitudes sans les mettre sur la défensive. À l’instar de la démarche belge Tournée minérale, une alternative serait de se focaliser sur les bons comportements, en mettant par exemple en scène une personne heureuse de ne pas boire. L’idée est de valoriser la non-consommation d’alcool et faire comprendre – surtout auprès des plus jeunes – que l’alcool n’est pas forcément indispensable à la bonne humeur et l’amusement.
Propos recueillis par Ronan Rousseau