Ils sont à la tête de grands groupes ou de petites rédactions mais restent quasiment invisibles de la littérature scientifique. Julie Sedel, chercheuse au sein de l’unité mixte de recherche Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe, s’est intéressée aux dirigeants de médias à travers un ouvrage du même nom. Paru en mai 2021, il dresse un portrait de ces acteurs peu étudiés au rôle essentiel.
14/06/2021
Julie Sedel travaille sur le journalisme depuis 20 ans, son intérêt pour les dirigeants de médias nait en 2010 lorsqu’un chercheur américain lui propose de participer à une enquête sur l’actionnariat de presse en s’occupant de la partie française. « Un directeur éditorial d’un hebdomadaire politique m’a demandé ce que j’appelais dirigeants de médias ? J’ai décidé de prendre la question à bras le corps », souligne la chercheuse qui remarque qu’il existe peu d’écrits en France sur le sujet. « Il y a des travaux historiques plus sur des personnalités exemplaires ou les grandes figures patronales ou alors des écrits dénonciateurs, mais pas de juste milieu. »
Pour actualiser les données sur le patronat des médias, Julie Sedel décide de l’aborder de manière collective afin de dégager ses caractéristiques. Elle vise les directeurs éditoriaux à la tête des rédactions mais aussi les PDG de médias ou de groupes de médias de la presse nationale essentiellement parisienne. « Souvent dans les études, on s’attache à l’un ou à l’autre, j’ai voulu les mettre dans le même groupe. »
14% de femmes
Age, sexe, diplôme, trajectoires… la chercheuse s’intéresse ainsi à 93 dirigeants, soit une soixantaine de médias de tailles différentes comme Le Monde, TF1, Mediapart, Politis… qu’elle étudie sur l’année 2016. « C’est une population qui change beaucoup avec un fort turnover. » Seules 14% sont des femmes dont certaines résultent des politiques de parité de l’audiovisuel publique. « Une part semblable à celle des élites », note la chercheuse qui précise que « souvent, elles reprennent à leur compte les qualités associées au monde masculin. Un monde qui s’impose également par un rythme de vie laissant peu de place au temps domestique. »
Autre constat : c’est une population très diplômée issue généralement de la classe moyenne et supérieure avec une surreprésentation de Sciences Po Paris. « Ils sont tous de nationalité française et seulement 10% sont nés hors de France. » Ils ont la cinquantaine ou plus, 7% ont moins de 40 ans, un âge proche de celui des dirigeants politiques. Côté salaire, il varie en fonction de la taille des structures ou entre dirigeants de groupes privés et publics. « Par exemple, celui de TF1 gagne deux fois plus que celle de France télévisions. » Le recrutement se fait souvent sur la réputation ou les collaborations antérieures.
« La direction est un espace carrefour »
« En conclusion, j’ai essayé de montrer que la direction est un espace carrefour, pour lequel j’ai retenu cinq filières d’accès : la première journalistique, la seconde militante, des journalistes plus âgés militants dans leur jeunesse qui rejoignent le champ politique ou inversement. » Des intellectuels dirigeants au profil de lettrés issus de grandes écoles comme l’Ecole normale supérieure. La filière économique sur le versant management, gestion, administration, le plus souvent à la direction de grands groupes, venant de grande écoles de commerce.
Et enfin, moins nombreux mais souvent à la direction de très grands groupes, d’anciens hauts fonctionnaires qui ont basculé dans le monde économique. « Ils ont travaillé dans un cabinet ministériel, ont des décorations de type légion d’honneur », précise Julie Sedel qui prépare déjà un deuxième livre qui synthétisera ses travaux sur le sujet.
Marion Riegert