Hyperthermie, extraversion accrue, sensation de bien-être et énergie débordante… l’ecstasy dont le principe actif est la 3,4-méthylènedioxymétamphétamine (MDMA) est une molécule dérivée de l’amphétamine aux multiples effets. Des chercheurs du Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives (LNCA) ont décrypté une partie du mécanisme impliqué dans l’accentuation par l’alcool des effets locomoteurs de la MDMA, qui, chez le rat, reflètent les effets psychostimulants de cette drogue.
16/07/2020
« En milieu festif, la prise de drogues est généralement associée à celle d’alcool. Pourtant, comme nous l’a fait remarquer Byron Jones, un professeur américain, lors de son passage au laboratoire, la plupart des recherches portent sur l’action d’une drogue seule », précise d’emblée Jean-Christophe Cassel, chercheur au LNCA, dont l’équipe décide de s’intéresser aux interactions ecstasy / alcool à travers une thèse menée par Sami Ben Hamida.
Administrée à un rat de laboratoire, la MDMA induit notamment, comme chez l’humain, une hyperactivité. « Nous avons été stupéfaits de constater qu’avec l’association d’alcool, cette activité devient encore plus forte, alors qu’en cas de prise d’alcool seul, le rat est plutôt léthargique (cf illustration). »
Un révélateur de métabolisme
Intrigués par ce résultat, les chercheurs réalisent différents tests et se rendent compte que lorsque la prise d’ecstasy se fait 45 min après celle d’alcool, l’hyperactivité accrue disparait. « Elle est donc liée à la quantité d’alcool dans le sang. Lorsque le rat vient d’ingérer de l’alcool, l’ecstasy est absorbée plus rapidement et est présente en plus grande quantité dans son cerveau. »
Pour comprendre le mécanisme à l’œuvre et déterminer les zones du cerveau actives lors de la prise du mélange, les chercheurs injectent un révélateur de métabolisme aux rats. Ils notent ainsi une augmentation importante du métabolisme surtout dans le striatum ventral uniquement chez les rats ayant reçu les deux drogues. Cette zone est impliquée dans le plaisir et la locomotion. Pour vérifier cette observation, de la tétrodotoxine est injectée dans la même zone afin d’en anesthésier les neurones. Résultat : lors de la prise du mélange alcool/ectasy, les effets de l’alcool sur l’activité locomotrice sont bloqués comme si le rat avait pris de l’ecstasy seule.
Soupçons sur les neurones dopaminergiques
Les chercheurs réussissent ensuite à mimer l’effet de ce blocage en détruisant une partie des neurones dopaminergiques du striatum ventral, suggérant que le système dopaminergique prend part au mécanisme. L’étau se resserre et ils suspectent plus précisément des récepteurs de la dopamine de type D1 et des récepteurs glutamatergiques qui modulent la libération de dopamine. « En les bloquant, nous avons diminué à nouveau les effets de l’alcool sur l’hyperlocomotion. »
Pour vérifier ce constat, les chercheurs réalisent l’expérience inverse et remplacent l’alcool par l’injection d’un analogue de la dopamine activant les récepteurs D1 (RD1). Les mêmes effets qu’avec la prise d’alcool sont observés. Mais « ce n’est qu’une partie du mécanisme. Des travaux plus poussés pourraient interroger ce maillon comme cible thérapeutique potentielle en cas d’intoxication grave associant une consommation d’ectasy et d’alcool », conclut Jean-Christophe Cassel qui précise que la diffusion de cette étude terminée en 2007 a connu quelques péripéties. « Nous publions enfin « un joli résultat » mettant un terme à une histoire de plus de 10 ans », glisse sa collègue, Anne Pereira de Vasconcelos.
Marion Riegert
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D’autres expériences menées en parallèle et publiées entre 2005 et 2010 permettent aux chercheurs de montrer que l’association alcool /ecstasy réduit l’hyperthermie, un effet observé en cas de prise d’ecstasy seule, en milieu chaud. Et ce pour une alcoolémie de 1,35g/litre de sang. « Les rats ne pourraient pas conduire », sourit Jean-Christophe Cassel. Durant leurs études, les chercheurs notent également que la prise combinée alcool/ecstasy provoque une sensation accrue de plaisir : « lorsque l’animal a le choix entre un endroit neutre et un endroit associé au mélange alcool / MDMA, il préfère se tenir dans ce dernier, ce qu’il ne fait ni pour l’alcool seul, ni pour la MDMA seule. »
La pillule de l’amour
Good to know
Appelée pilule de l’amour parce qu’elle rend euphorique et empathique, l’ecstasy est une drogue illégale répandue chez les jeunes et dans les milieux festifs. Dérivée de l’amphétamine, la MDMA est synthétisée pour la première fois en 1898 par le chimiste allemand Anton Köllisch. Elle a été redécouverte en 1912 par les laboratoires Merck, puis brevetée en 1913, et destinée à un usage militaire. Dans les années 1970, elle est utilisée aux Etats-Unis comme agent permettant de diminuer les inhibitions dans le cadre de psychothérapies, une pratique rapidement abandonnée. Elle fait sa réapparition aujourd’hui comme potentiellement intéressante dans le cadre du traitement de certains stress post-traumatiques.