Plus de 500 plongées, d’innombrables heures d’images filmées… C’est ce qu’il aura fallu à Serge Dumont, biologiste au Laboratoire image ville environnement (Live, CNRS/Unistra), pour faire voir le jour à son « film le plus ambitieux », qu’il mûrit depuis dix ans. Le fleuve invisible, un trésor sous la plaine du Rhin, a pour fil rouge (ou plutôt bleu) le chemin de l’eau de la nappe phréatique, un joyau qui coule sous nos pieds…
30/04/2019
« J’aurais pu faire un film juste beau. » Belles, les images du Fleuve invisible, un trésor sous la plaine du Rhin, le sont incontestablement. Mais le film de Serge Dumont est aussi porteur d’un message : la nappe phréatique du Rhin, plus grande réserve aquatique d’Europe occidentale, est menacée.
Ce « fleuve » d’eau douce, majoritairement souterrain et origine de formidables biotopes lorsqu’il apparaît en surface, subit une double pression. Celle de la pollution et du pompage intensif, principalement pour la culture du maïs, exploité sur près de la moitié des terres agricoles alsaciennes.
Tortue cistude, brochet, cincle plongeur…
Qui d’autre que ce fin connaisseur des milieux aquatiques de l’Alsace, explorateur inlassable de ses rivières, lacs et gravières, pour signer un tel film ? On ne compte plus ses réalisations et les prix qu’elles laissent dans leur sillage*. « Les images issues de ce nouveau projet, je les ai quasiment toutes filmées seul, depuis 2012. » Serge Dumont conjugue passion indéfectible du milieu et infinie patience. Il en faut pour enchaîner trois à quatre plongées la même journée ou attendre chaque année le moment propice pour capter sous tous les angles un comportement animal. Sans oublier un zeste de chance. Comme ce jour de juillet, « où je suis arrivé juste au bon moment pour capter l’unique débordement estival du Rhin en 2018, après que ma caméra soit restée fixée 12 h sans que rien ne se passe ». Le résultat en vaut la peine, telles « ces images montrant comme jamais la reproduction du brochet, issues de 40 plongées »… et réduites à une petite minute du film !
Captées depuis le ciel ou sous la surface d’une eau cristalline, des images d’une grande beauté se succèdent pendant 52 minutes – il en fallait pour obtenir le « Galathéa d’or », devant des films sur les atolls polynésiens ou la Méditerranée au Festival international du monde marin d’Hyères, en mars dernier ! L’œil expert et la technique de plongée millimétrée de Serge Dumont nous permettent d’approcher au plus près tortue cistude, anguille, perches, brochets, truite fario, silures, grèbe ou encore cincle plongeur…
Plusieurs niveaux de lecture
Projeté en avant-première le 22 mars, le film n’a reçu « que des retours positifs ». Il faut dire qu’il a été conçu « avec plusieurs niveaux de lecture ». Qu’il s’agisse d’émerveiller les enfants grâce aux images d’animaux, de sensibiliser des étudiants de master ou d’informer des plongeurs aguerris et des connaisseurs du milieu, il coche toutes les cases ! Serge Dumont, rattaché au Laboratoire image, ville et environnement (Live) depuis deux ans, n’a rien laissé au hasard : « On ne peut pas être spécialiste de tout. J’ai donc fait appel à mes collègues experts, biologistes, hydrogéomorphologues, pour certaines questions ».
Loin de se résumer à une aventure solitaire, Le fleuve invisible… a pu voir le jour grâce au soutien d’un nombre important de partenaires (Région, Eurométropole, Arte, France télévision, télévision publique allemande…) qui ont notamment permis à Serge Dumont de faire appel à la société strasbourgeoise Inventive pour des animations saisissantes de réalité, expliquant le parcours souterrain de l’eau. « Le film est le fruit d’une collaboration franco-allemande, entre la société de production strasbourgeoise Seppia et Längengrad de Cologne. » Joli clin d’œil, quand on sait que le film a été tourné des deux côtés de la frontière, l’eau se jouant des barrières…
Lui qui envisage ses films comme un « appel au respect » ne pouvait le terminer sur une note négative. « Je conclus avec le Rhin dont les digues sont ouvertes pour reconnecter les anciens bras. Une liberté retrouvée aux multiples bénéfices sur la biodiversité et la nappe phréatique. » Le film se termine par un délicat ballet d’agrions, de petites libellules bleues, comme une métaphore de ce fragile équilibre à protéger.
Elsa Collobert
* Les gravières du Ried, une biodiversité à découvrir (2007, prix du président de la République et Palme d’or au Festival mondial de l’image sous-marine d’Antibes), Jungle d'eau douce, la vie secrète des gravières (2012, douze prix internationaux dont cinq palmes d’or).