Jugement des djihadistes : « Les États européens doivent prendre des décisions »

13/11/2019

Selon les chiffres de l’ONU 2019, 5 000 à 6 000 Européens sont partis combattre en Syrie et en Irak. Un tiers serait déjà rentré en Europe. Toute la question est de savoir comment les juger. État des lieux des différents cas de figure avec Nicolas Bauer. Le doctorant de l'Institut de recherches Carré de Malberg (IRCM) s’est penché sur le sujet pour l’European Centre for Law and Justice (ECLJ).

Quel chef d’accusation pour les combattants de retour en Europe ?

« L’absence de déclaration de guerre entre des États empêche d’inculper les djihadistes pour haute trahison ou intelligence avec l’ennemi. Cependant, les États européens peuvent juger leurs ressortissants pour leurs crimes et délits, même commis à l’étranger. Les combattants de Daech ont participé à des crimes très graves, en particulier le génocide contre les minorités religieuses non sunnites. Il faut toutefois des preuves, difficiles à collecter en Irak et en Syrie. Une autre question se posera ensuite : celle de la récidive à leur sortie de prison. Peut-être pourrions-nous appliquer le principe de la rétention de sûreté, à l’image de ce qui existe déjà en France pour les crimes sexuels ou violents ? Il est important d’y réfléchir, pour éviter que d’autres attentats soient commis en Europe par d’anciens combattants de Daech. »

Que se passe-t-il pour ceux restés en Syrie ?

« La souveraineté des États, reconnue en droit international, rend compétentes les autorités judiciaires locales pour juger des étrangers ayant commis des crimes et délits sur leur territoire. Juger les djihadistes européens en Syrie n’est pas encore réaliste, car la guerre civile se poursuit, mais c’est déjà possible en Irak. C’est pourquoi la France coopère au transfert de ses djihadistes sur place. Ce qui pose la question, principalement éthique et politique, de l’application de la peine de mort dans ce pays. Quant aux combattants européens encore en liberté, ils ont, en raison de leur nationalité, un « droit au retour » en Europe. Pour éviter un tel retour, certains États, comme le Royaume-Uni, prévoient une déchéance de nationalité « préventive ». »

Quid du recours à la Cour pénale internationale ?

« Les crimes de Daech ont été commis sur les territoires de la Syrie et de l’Irak, qui ne sont pas parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Cette dernière pourrait toutefois être saisie via le Conseil de sécurité des Nations unies. Un projet de résolution a été présenté en ce sens par la France en 2014, mais a été bloqué par la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité. Ces gouvernements craignaient une enquête sur le régime syrien de Bachar el-Assad. Le procureur de la CPI a par ailleurs la possibilité de juger à titre individuel les djihadistes ressortissants des États parties au Statut de Rome (dont les États européens). Mais, pour l’actuel procureur, ce n'est pas une priorité, car la hiérarchie de l’État islamique est principalement composée de ressortissants irakiens et syriens. »

La création d’un tribunal pénal international, une option envisagée ?

« De tels tribunaux avaient notamment été mis en place pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et pour le Rwanda en 1994. Leur bilan est très mitigé, notamment en raison de la lenteur des procédures judiciaires. En tout état de cause, la création d’un tribunal pénal international est décidée par le Conseil de sécurité des Nations unies et sera donc probablement bloquée par un veto de la Russie et de la Chine. Les États-Unis ont également indiqué qu’ils n’y étaient pas favorables. Ainsi, en l’absence de mandat donné à une juridiction pénale internationale, les États européens doivent accepter qu’il leur incombe de prendre des décisions pour juger les djihadistes, tout en s’attaquant aux causes de leur départ. »

Propos recueillis par Marion Riegert

La CPI en bref

Good to know

Créée par le Statut de Rome pour remplacer les tribunaux pénaux internationaux, la Cour pénale internationale (CPI) peut exercer sa compétence à l'égard de quatre crimes principaux : crimes de guerre, crime d’agression, crimes contre l’humanité, génocide, commis à compter du 1er juillet 2002. Le tout, par un ressortissant d’un État partie, ou sur le territoire d’un État partie ou d’un État qui a autrement accepté la compétence de la Cour. Autre possibilité : dans le cas où les crimes ont été déférés au Procureur de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis le 17 juillet 2018, le Conseil de sécurité peut saisir la Cour d'une situation après avoir constaté un acte d'agression, qu'il s'agisse d'États parties ou non. En l'absence d'un renvoi par le Conseil de sécurité concernant un acte d'agression, le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative ou en cas de renvoi d'un État partie. La CPI a vocation à compléter, et non à remplacer, les systèmes pénaux nationaux ; elle n’engage de poursuites que lorsque les États n’ont pas la volonté de le faire, ou sont dans l’incapacité de le faire véritablement.

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