L’allemand enseigné à l’école primaire comme langue régionale… Erreur de casting ? Pour comprendre le phénomène, il faut revenir sur l’histoire qui lie notre voisine à l’alsacien. Le point avec Pascale Erhart, chercheuse au sein de l'équipe d'accueil LiLPa (linguistique, langues, parole), qui s’est penchée sur les incohérences liées à l’ enseignement de la « langue régionale » à l’école primaire en Alsace.
22/01/2019
Un sticker bretzel flanqué de la phrase « Think Alsacien » collé à l’arrière de son ordinateur, Pascale Erhart parle le dialecte couramment, mais ne vous y trompez pas : « Il n’y a pas d’engagement ni de militantisme, je fais de la recherche. Mon rôle est de décrire et d’analyser la situation sociolinguistique de l’Alsace, c’est une mission d’expertise !»
La chercheuse et sa « Fraueschaft », comprenez « équipe féminine », s’intéressent notamment aux politiques linguistiques et plus précisément à la formation des futurs professeurs des écoles à l’enseignement de l’allemand et de l’alsacien dans les écoles primaires en Alsace. Une recherche qui a fait l’objet d’une journée d’étude le 10 janvier dernier.
Trois heures d’enseignement par semaine
« Durant le Master enseignement formation (MEEF 1er degré) il y a peu de cours d’allemand ou même d’alsacien », constate la directrice du département de dialectologie alsacienne et mosellane. Problème : une fois en poste, les jeunes professeurs doivent assurer au minimum un enseignement hebdomadaire de langue régionale de 3h. « Souvent, ils le découvrent lorsqu’ils arrivent en master ou sont enseignant stagiaire et qu’il est déjà trop tard pour se former. » Pour Pascale Erhart, la solution serait d’augmenter et valoriser l’offre de formation dans ces langues dès la licence.
Autre incohérence : jusqu’à présent en Alsace, l’allemand est enseigné comme « langue régionale » dans le 1er degré et la plupart du temps comme « langue vivante étrangère » dans le second degré. Pour comprendre le phénomène, il faut remonter quelques décennies en arrière. Après 1945, l’enseignement de l’allemand est suspendu à l’école primaire. « Il y a eu un mouvement de la part notamment des parents d’élèves et aussi des élus pour qu’il soit réintroduit. » Ce qui fut le cas dès 1952 avec le décret Marie, qui autorise un enseignement facultatif de l’allemand durant les deux dernières années de l’école primaire. En 1976, après les réformes Holderith, l’enseignement de l’allemand est généralisé au cours moyen. En 1982, l’enseignement des langues et cultures régionales est instauré au niveau national. « A ce moment-là, dans la région, il y avait déjà un enseignement de l’allemand, ce sera donc cette langue qui sera enseignée comme « langue régionale ». »
« L’allemand standard vient des dialectes, et non l’inverse »
Aujourd’hui, cet enseignement ne fait plus sens car l’allemand est perçu comme une langue étrangère, la langue du voisin. Pourtant, l’allemand et l’alsacien ont une histoire linguistique commune. « Ce qu’on appelle alsacien regroupe un ensemble de dialectes germaniques, alémaniques et franciques parlés depuis le 5e siècle qui ont évolué au fil du temps et au contact d’autres langues. »
A titre de comparaison, l’allemand standardisé développé à partir de plusieurs dialectes est apparu vers le 17e/18e siècle. « L’allemand standard vient des dialectes, et non l’inverse», détaille la chercheuse pour qui l’enseignement de l’allemand comme langue régionale n’est pas incohérent à condition d’être enseigné comme tel et non comme une langue étrangère.
« L’alsacien et l’allemand sont complémentaires. L’idéal serait d’accueillir et de parler aux enfants en dialecte et passer au standard allemand à l’écrit. De cette façon, quand l’enfant rentre à la maison après l’école, il peut encore avoir une chance de pouvoir parler avec quelqu’un en alsacien. » Dans une étude de 2012, l’Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle (OLCA) sur les compétences en dialecte précisait que l’Alsace comptait 43% de locuteurs. Pour que ces chiffres ne soient pas revus à la baisse, l’enseignement de l’alsacien est plus que jamais une nécessité…
Marion Riegert
*« Pensez alsacien »
- Pour aller plus loin, lire aussi notre article : « Le Rhin deviendrait-il une frontière linguistique pour les dialectes ? »
Un clavier prédictif en alsacien
Good to know
Dans la continuité du projet Restaure, qui cherchait à fournir des ressources informatiques et des outils de traitement automatique pour trois langues régionales de France : alsacien, occitan et picard, l'association Lo Congrès a élaboré un clavier prédictif pour téléphone portable, autrement dit un clavier qui propose différents mots à partir des lettres saisies. Le tout, téléchargeable sous Androïd. « A Strasbourg, nous avons fourni le package en alsacien soit 50 000 mots », précise Pascale Erhart qui constate que de plus en plus de chercheurs s’intéressent à l’alsacien écrit même si le corpus semble minime par rapport à celui de la langue française. « Ce n’est pas une langue scolaire qu’on apprend à lire ou à écrire. Il n’y a pas de règles d’écriture. Ainsi, pour le mot « Mulhouse » par exemple nous avons relevé 14 orthographes différentes. Lors de l’élaboration du clavier, il a fallu faire des choix. » Un champ de recherche nouveau qui reste à explorer.