Le pentacentenaire de l'épidémie dansante de 1518 est l’occasion pour trois chercheurs de l’Université de Strasbourg de se pencher sur cet évènement qui demeure encore mystérieux. Le tout, dans le cadre d’une conférence organisée par le Neurôpole le 09 juin à 17h30 en partenariat avec la librairie Kléber de Strasbourg où se tiendra l’évènement.
05/06/2018
Tout commence le 14 juillet 1518 lorsque Frau Troffea sort dans la rue et se met à danser sans pouvoir s’arrêter pendant une semaine. L’histoire aurait pu finir là mais le phénomène individuel devient collectif et jusqu’à la fin du mois d’août, un chroniqueur dénombre 400 habitants, hommes, femmes, enfants, ayant succombé à une manie similaire. Une épidémie qui provoqua la mort de nombreux danseurs, par épuisement ou déshydratation.
Transe collective, pathologies neurologiques, empoisonnement… Les hypothèses de l’origine de cette « peste dansante » sont nombreuses. A la librairie Kléber, trois chercheurs de l’Université de Strasbourg reviennent sur cet épisode singulier sous l’angle de leur discipline, dans une discussion croisée animée par Hervé Javelot praticien hospitalier à l'Etablissement public de santé Alsace Nord.
Un effet d’empathie motrice
Parmis eux, Iris Chabrier-Trinkler. Spécialiste des troubles de la reconnaissance des émotions dans la maladie de Huntington, la chercheuse a rejoint en septembre l’unité de recherche Sport et sciences sociales pour s’intéresser à l’activité physique et l’intégration sociétale. Pour elle, « il y a eu une interaction de plusieurs facteurs, parmi lesquelles, éventuellement un ou plusieurs cas neurologiques… Quand les organisateurs de la conférence m’ont raconté l’histoire, j’ai émis l’hypothèse que la première personne à avoir dansé était atteinte de la chorée d’Huntington. Mais pour l'effet de masse qui a suivi, je penserais plutôt à un effet d’entraînement. »
Selon la chercheuse, ce « patient zéro » aurait pu contaminer les autres par un effet d’empathie motrice. « C’est une explication neuroscientifique intéressante. » Une contamination qui s’explique par le contexte historique de cette période remplie d’interdits, de superstitions et de misère. « La danse a pu être une sorte de libérateur. » A l’époque, les autorités ont en effet conseillé aux « malades » de continuer à danser. Une erreur qui fut fatale à certains.
« Mais la danse peut avoir des effets bénéfiques », tient à souligner Iris Chabrier-Trinkler qui s’intéresse à la prescription de cette discipline comme traitement et a pu justement tester ses effets sur les malades atteints de la chorée d’Huntington au côté notamment de Philippe Chéhère rencontré en 2009 (cf encadré). « La danse permet de réduire les troubles liés aux maladies neurologiques », souligne la chercheuse. Une conclusion bien moins funeste que celle de 1518…
Marion Riegert
- Rendez-vous le 09 juin 2018 à la librairie Kléber de 17h30 à 19h30. Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles. Avec également : Antoine Follain, professeur d'histoire moderne à l’unité de recherche Arts, civilisation et histoire de l'Europe et Julie Clauss, docteur en médecine et psychiatrie, chef de clinique des Universités – Assistante des hôpitaux aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
Huntington et danse : Quand la maladie devient art
Good to know
En complément des discussions, Philippe Chéhère, danseur-chorégraphe présentera les activités de son groupe Huntington et danse à travers des photos et des vidéos de ses activités mais aussi une danse autour de la question du mouvement contagieux et des manies dansantes.
Créé en 2003 avec Julie Salgues, le projet Huntington et danse s’effectue en collaboration avec les médecins et spécialistes en neurologie de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris. Dans ce cadre, le danseur-chorégraphe propose des ateliers de danse contemporaine pour des personnes de tout âge directement ou indirectement concernées par la maladie de Huntington, une maladie neurodégénérative génétique autrefois appelée la danse de St Guy du nom du protecteur des malades de chorée.
« La maladie d’Huntington provoque des mouvements désordonnés. L’idée est de partir de ces mouvements qui font peurs, pour en faire une danse, comme pour détourner la maladie », souligne le danseur-chorégraphe dont le groupe d’une quinzaine de personnes a pu se produire en 2017 dans des musées. Cette aventure humaine s’inscrit ainsi dans une recherche créative, artistique et théorique à partir de croisements entre « le corps en crise et le corps dansant ».