Les dessous de la grimace dans les arts

01/02/2022

Langue tirée, bâillements intempestifs, sourcils relevés… Martial Guédron, historien d’art au sein de l’unité de recherche Arts, civilisation et histoire de l'Europe, s’intéresse au corps et ses représentations. Dans le cadre d’une conférence, il s’est penché sur le cas des grimaces d’artistes en Occident, de la Renaissance à nos jours. Un sujet qui touche à des aspects moraux, religieux et esthétiques.

« J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de visages grimaçants dans les arts et je me suis demandé ce que cela signifiait », souligne en préambule Martial Guédron qui a notamment publié un livre sur l’art de la grimace. Douleur, désespoir, colère, rage, effroi, frayeur ou encore étonnement, il constate qu’un tableau est une sorte de théâtre muet dans lequel la grimace permet d’exprimer différentes émotions. L’idéal de beauté passant plutôt quant à lui par un visage impassible.

Les manuels esthétiques destinés aux artistes précisent ainsi une série de règles : par exemple une princesse ne doit pas être montrée en train de bailler. « Ce sont les mêmes préconisations que dans les traités de bonnes manières », souligne le chercheur. Dans ce cadre, l’utilisation de la grimace doit apporter un supplément de signification comme montrer la colère. « Mais elle ne doit pas être ridicule. Les artistes s’entrainent alors dans leurs carnets de croquis en grimaçant devant leur miroir afin de maitriser les différentes émotions. »

Un sens religieux

La grimace en tant que telle peut être utilisée de manière caricaturale pour représenter le fou, les idiots ou pour ridiculiser un personnage. Souvent, elle montre la laideur ou des êtres qui sont mauvais. Elle revêt alors un sens religieux et s’observe sur les visages des damnés de l’enfer, des démons ou encore des bourreaux du Christ dans les tableaux de Matthias Grünewald.

Un tournant s’observe toutefois aux 18e et 19e siècles. Pour la première fois, différents artistes se représentent eux-mêmes en train de grimacer, pas seulement pour s’entrainer, ni raconter une histoire ou un épisode religieux. A l’image de Joseph Ducreux en train de bailler « comme s’il disait aux critiques d’art, vos discours m’ennuient », ou de Jean-Jacques Lequeu, tirant la langue. Ou encore le sculpteur autrichien Franz Xaver Messerschmidt et ses bustes grimaçants. « Sortant de la norme, ces derniers furent considérés comme fous et leurs œuvres inconvenantes et mal polies. »

Raconter son intimité

Mais pourquoi se représenter en bouffon ? « Par amusement ou par provocation. C’est aussi la période où l’on se confesse, où l’on explore la psychologie des profondeurs. On commence à raconter son intimité, ce que l’on ressent, ce que l’on est », analyse le chercheur.

Au 19e siècle, des photos de malades en train de grimacer permettent de catégoriser la folie. Dans les prisons, la grimace était un moyen de défense utilisé par les prisonniers lors des photos d’identité pour éviter d’être ensuite reconnus. Avec le développement de la photographie et des réseaux sociaux, la grimace s’est démocratisée et permet de communiquer notamment à travers les selfies.

Marion Riegert

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