Les gagnants, sous les feux des projecteurs, ont largement été étudiés par le recherche alors que les perdants, eux, restent dans l’ombre. Une double peine à laquelle Cédric Pellen et Frédéric Louault ont décidé de remédier à travers un ouvrage collectif « La défaite électorale. Productions, appropriations, bifurcations. »
13/09/2019
« A chaque élection, il y a plus de perdants que de gagnants. Phénomène structurant de la vie politique démocratique, la défaite électorale épargne peu de responsables politiques », explique Cédric Pellen, enseignant-chercheur au sein du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (SAGE). En 2014, il décide de s’emparer de ce sujet peu étudié en organisant un colloque dont est en partie tiré l'ouvrage publié en juillet 2019 aux Presses universitaires de Rennes.
« Nous essayons de comprendre pourquoi toutes les défaites, individuelles ou collectives, ne se valent pas et pourquoi certaines marquent la fin d’une carrière alors que d’autres sont sans conséquences. » Première étape, définir le sujet : « Il faut distinguer la défaite de l’échec. Une défaite peut être un succès si la personne ou le parti ne remporte pas l'élection mais obtient un score qu'il juge satisfaisant, comme Europe écologie-les verts aux dernières européennes. Inversement, certaines victoires peuvent être perçues comme décevantes. »
Avoir confiance dans le fonctionnement des élections
Place ensuite à une première partie sur la construction et la non acceptation de la défaite. « Normalement, l’annonce des résultats devrait mettre fin à la compétition. Mais pour qu’il y ait défaite, il faut qu’il y ait acceptation des règles du jeu et des résultats par les perdants ce qui implique une confiance dans le fonctionnement des élections », explique Cédric Pellen qui souligne que l’introduction du vote électronique a pu affaiblir cette dernière condition.
Une seconde partie porte sur l’impact des défaites électorales sur les carrières politiques à travers trois études de cas et notamment celui d’Andrzej Lepper sur lequel le chercheur a fait sa thèse. Cet agriculteur polonais entre en politique au début des années 1990 et se fait connaitre par le biais du syndicalisme agricole sans parvenir toutefois à être élu. En 2001, il devient finalement député puis ministre de l’Agriculture avant que son parti ne soit évincé du parlement en 2007. Si les premières défaites connues par Lepper n'ont que peu d'effets sur sa carrière militante, il ne se remettra jamais de celle de 2007 qui le conduira au suicide. « Avec en jeu la question de ce que la défaite nous fait perdre, d’où l’on tombe. »
Un savoir-faire de gestion de la défaite
La troisième partie s’intéresse au niveau collectif des partis et de leurs ressources pour faire face à la défaite. Le cas du Parti socialiste est étudié à travers ses défaites de 2002, 2007 et 2017, qui ont permis au PS de développer un véritable savoir-faire de gestion de la défaite. « Il y a toujours une séquence d’accusation, une mise en débat généralisée, suivie d’une reprise en main par le parti et un retour au fonctionnement antérieur. »
Le cas de ceux qui ne visent pas la victoire comme les partis d’extrême gauche est également étudié. « Leur objectif n'étant pas de gagner, ils tendent à s'investir différemment dans l'élection. Leur idée est surtout d’avoir accès aux médias et si possible d’arriver devant les autres partis d’extrême gauche », précise Cédric Pellen qui ajoute que l’ouvrage n’a pas vocation à être exhaustif. « Il n’y a pas de conclusion mais une postface qui ouvre de nouvelles pistes de réflexion. » Les perdants n’ont pas fini de faire parler d’eux…
Marion Riegert