La semaine dernière, au Forum européen de bioéthique, l’intelligence artificielle était au cœur des débats. Progressant vite, elle enthousiasme autant qu’elle inquiète. Depuis quelques années la médecine s’en empare. Une révolution est-elle en marche ? Eléments de réponse avec Nicolas Padoy, chercheur en informatique au laboratoire ICube.
09/02/2017
Pensez-vous que l’intelligence artificielle puisse révolutionner la médecine ?
Oui. Dans certains cas, les machines commencent à dépasser les cliniciens pour établir des diagnostics. Par exemple, l’intelligence artificielle Watson, développée par IBM, a déjà servi à établir des diagnostics de leucémie. Aujourd’hui, un grand nombre de startups se consacrent à développer l’intelligence artificielle pour la santé. Dans les cinq à dix ans à venir, je pense que nous aurons considérablement progressé dans ce domaine, notamment dans l’analyse d’images médicales et l’assistance au geste chirurgical. Le but ultime serait de réaliser une chirurgie entièrement automatisée mais on en est encore loin…
Loin, c’est combien de temps ?
C’est très difficile à estimer. Peut-être dix ou vingt ans, au minimum. Un des grands défis à résoudre est d’arriver à intégrer la variabilité des patients. Chaque patient est différent et cette diversité est très difficile à prendre en compte.
Avec votre équipe, comment utilisez-vous l’intelligence artificielle ?
En collaboration avec l’IHU de Strasbourg, l’IRCAD et le NHC, on cherche à développer des systèmes intelligents pour équiper les salles opératoires réalisant des chirurgies mini-invasives guidées par l’image. Dans ce type de chirurgies, le personnel opératoire est confronté à des équipements complexes générant une masse d’informations difficile à traiter dans son ensemble par un être humain. On s’efforce donc de collecter les données et vidéos issues de centaines voire de milliers de cas de chirurgies pour créer un système d’assistance, basé sur un algorithme de deeplearning, capable de reconnaître à chaque instant le contexte opératoire. Cela permettra de générer des rappels ou des alertes et de prédire le temps restant de la chirurgie, à l’instar d’une tour de contrôle.
Qu’entend-on par deeplearning ?
L’idée est en quelque sorte de modéliser le fonctionnement et l’architecture d’un cerveau avec des réseaux de neurones artificiels. Des algorithmes de deeplearning sont ainsi capables d’apprendre, à partir d’une grande masse de données ou d’images, à extraire des propriétés communes pour ensuite les généraliser sur des données ou des images inédites.
En médecine, l’interprétation humaine va donc céder le pas à une interprétation faite par des machines intelligentes…
Il ne fait aucun doute que pour des tâches clairement définies, la machine battra l’homme. Pour une utilisation plus générale, cela dépendra de la possibilité d’acquérir des données plus représentatives de la variété des situations auxquelles la médecine est confrontée. S’il est facile d’obtenir énormément de photos de la vie de tous les jours, il est beaucoup plus dur de collecter une grande quantité d’images médicales et aussi de les annoter. Or, les méthodes de type deeplearning requièrent énormément de données d’apprentissage.
Certains expriment des craintes en réponse au développement de l’intelligence artificielle. Les comprenez-vous ?
Des systèmes intelligents sont amenés à entrer dans le bloc opératoire prochainement. Si c’est pour le bénéfice du patient, alors c’est tant mieux. Toutefois, il est important de mettre en place certains garde-fous pour éviter toute dérive. Une grande masse de données doivent être mises à disposition des algorithmes pour leur apprentissage. Il faut s’assurer qu’elles ne soient pas utilisées pour d’autres usages. D’autre part, il faut aussi s’interroger sur la fiabilité des algorithmes, qui peuvent faire des erreurs, comme les humains. Qui est responsable dans cette situation ? Il y a toujours des cas inédits qui n’ont jamais été intégrés dans l’apprentissage des algorithmes.
Propos recueillis par Ronan Rousseau