Le possible rétablissement d’une frontière au sein de l’Irlande s’est invité dans les débats et complique le Brexit. Entre jeu de pouvoir et réveil de tensions anciennes, Pauline Collombier-Lakeman, chercheuse au laboratoire Search (Savoirs dans l’espace anglophone, représentations, culture, histoire) revient sur cette question devenue centrale dans les négociations et qui pourrait bien repousser la date d’entrée en vigueur du Brexit. Un sujet d’autant plus important qu’avec ses 500 km, la frontière séparant les deux Irlande est la seule frontière terrestre du Royaume-Uni.
07/06/2018
La frontière, une problématique qui ne date pas d’hier
La mise en place d’une frontière remonte à la création de l’État Libre fin 1921, suite à la guerre d’indépendance. L’Irlande est divisée : le Nord, avec une majorité protestante unioniste, reste dans l’Union mais avec son propre parlement et le Sud devient un dominion sous autorité de la couronne britannique. En 1949, le Sud coupe tout lien avec le Royaume-Uni et devient véritablement indépendant. De 1968 à 1998 des « troubles » apparaissent avec une série d’affrontements, de violences et d’attentats, notamment le long de la frontière. Celle-ci reste donc associée dans l’imaginaire irlandais à cette période de conflit. En 1998, des négociations mènent à un accord de paix : celui du Vendredi saint qui abolit la frontière, les troupes stationnées et les check points disparaissent. Cet accord favorise un rapprochement entre le Nord et le Sud, d’autant plus facilité que le Royaume-Uni et la République d’Irlande sont dans l’Union européenne depuis 1973.
Un jeu de pouvoir politique
Le Brexit remet en cause l’accord du Vendredi saint et l’ombre du rétablissement d’une frontière plane sur l’Irlande alors même que l’Irlande du Nord a voté majoritairement contre le Brexit. « Une question qui ne semble pas avoir été prise en compte par certains partisans du Brexit », souligne Pauline Collombier-Lakeman, chercheuse spécialiste de l’histoire anglo-irlandaise et des nationalismes irlandais modérés au 19e et au début du 20e siècle. Elle poursuit : « L’idée actuelle de Theresa May serait de maintenir un partenariat douanier pour tout le Royaume-Uni jusqu’en 2023 afin d’avoir le temps de résoudre le problème de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. » Une possibilité qui fait débat au sein même de son parti. Sans parler de l’Europe, soutien de la République d’Irlande, qui tente d’accélérer la mise en place du Brexit et a proposé que l’Ulster seul reste dans l’Union douanière. Ce qui équivaut à un démembrement de l’Union.
L’exemple de Guinness
Avec la chute de la livre, la République d’Irlande, dont le premier partenaire commercial est le Royaume-Uni, souffre déjà des conséquences du Brexit. Une situation qui ne vas pas aller en s’arrangeant avec la remise en question de la libre circulation des biens et des services. « L’exemple de Guinness est parlant : c’est une bière produite en République d’Irlande, mise en bouteille à Belfast et exportée depuis le port de Dublin. Si des contrôles sont rétablis, cela va poser des problèmes logistiques. » La libre circulation des personnes, pourtant garantie par un accord spécifique bien antérieur à 1973, est elle-aussi en danger. « Certains partisans du Brexit souhaitent qu’il y ait des contrôles à la frontière de peur qu’elle ne devienne une porte d’entrée des réfugiés », précise Pauline Collombier-Lakeman.
Plusieurs solutions possibles
Maintien de l’Ulster dans l’union douanière, partenariat douanier impliquant tout le Royaume-Uni... Plusieurs solutions sont envisagées mais aucune ne semble faire consensus. D’autres modèles sont évoqués comme celui de la Suisse avec un accord de libre échange et de libre circulation. La réunification de l’Irlande n’est pas non plus écartée. « Cette question est évoquée avec prudence car elle pourrait réveiller la violence. » Autre solution : utiliser des moyens technologiques de pointe comme des drones ou des scanners pour réaliser des contrôles sans rétablir de douanes physiques. « Tout l’enjeu pour Theresa May étant de sortir de l’Union européenne tout en permettant à la frontière de rester invisible », autant dire une mission quasi-impossible… D’autant qu’un traitement spécial pour l’Irlande, risquerait d’entrainer une remise en cause plus profonde de l’union du Royaume. Pour rappel : l’Ecosse a également voté contre le Brexit…
Marion Riegert