Lutte anti-corruption : la France n'est pas encore dans les clous

08/12/2016

Créée en 2008 à l’initiative de l’ONU, la journée mondiale contre la corruption commémore la convention internationale de Mérida, entrée en vigueur en décembre 2005. Mais tous les pays qui l’ont ratifiée ne répondent pas encore entièrement à ses exigences. C’est le cas de la France, récemment épinglée pour son laxisme dans la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers. Les choses sont peut-être en train de changer, comme l’explique Chantal Cutajar, maître de conférences à l’Unistra spécialiste des délits financiers. Elle est aussi élue à la ville de Strasbourg (PS), notamment en charge de la déontologie et de la démocratie locale.

 

Quelle est la situation de la France par rapport à la corruption ?

Chantal Cutajar : La France accuse un retard important dans la lutte contre la corruption, notamment du point de vue du droit. D’ailleurs cela est régulièrement dénoncé par les organismes internationaux chargés d’évaluer la situation des États. Dans son rapport de décembre 2014, le groupe de suivi de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) note ainsi que la France persiste à ne pas mettre en œuvre convenablement la convention de Mérida dans ses transactions commerciales internationales. Fait assez rare pour être signalé, l’OCDE a même publié sur son site une déclaration formelle à ce sujet.

En fait, si la lutte contre la corruption est bien encadrée sur le territoire national et plutôt conforme aux standards internationaux, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’obtenir des marchés publics à l’étranger. En effet, pour décrocher ces marchés, certaines entreprises françaises ont encore tendance à corrompre des fonctionnaires étrangers.

On manque aussi de chiffres et de données objectives et on comprend aisément pourquoi : ni le corrupteur ni le corrompu n’ont intérêt à le dire ! En outre, les stratagèmes d’intermédiaires sont une manière de ne pas tomber sous le coup de la loi française : en effet, celle-ci interdit de verser un pot de vin à un édile étranger. Mais pas de passer par des intermédiaires qui gravitent autour des cercles politiques et financiers. On parle alors de trafic d’influence, et non de corruption. Et en matière de commerce international, ça n’est pas répréhensible.

La situation en France a-t-elle évolué depuis ce rapport de 2014 ?

Oui. La France s’est engagée depuis dans une réforme très importante de notre arsenal juridique pour la prévention et la répression de la corruption, via le projet de loi dite « Sapin 2 » [du nom du ministre des Finances. Votée en procédure accélérée en Assemblée nationale et au Sénat, cette loi est en train d’être étudiée par le Conseil constitutionnel, ndlr.].

 

En quoi cette loi pourrait-elle faire évoluer les choses ?

Il s’agit de mettre la législation française en conformité avec les standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption. Ce projet de loi marque une avancée majeure. Notamment parce qu’il incrimine le trafic d’influence d’agents publics étrangers, et pas seulement la corruption directe de fonctionnaires.

 

Et qu’en est-il sur le plan national ? En quoi cette loi peut-elle améliorer la situation en France ?

La loi « Sapin 2 » concerne aussi le lobbying : la France ne dispose toujours pas, à ce jour, d’une législation qui encadre les activités de ces groupes de défense d’intérêts. Cette nouvelle loi crée un répertoire des acteurs de l’influence sur la prise de décision publique : on y trouvera leur identité, leurs budgets et leurs actions. Les citoyens pourront ainsi avoir accès à des informations ouvertes, transparentes et qui devront être mises à jour, sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Seul bémol : on ne saura pas qui ils auront rencontré ni quand. Ni comment les arbitrages ont été fondés, en fonction de quels arguments. Bref, on peut donc encore mieux faire…

 

Propos recueillis par Baptiste Cogitore

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