Une équipe de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) a pu observer pour la première fois la structure à l’échelle atomique de SAGA, une machine moléculaire impliquée dans l’expression des gènes. Composée d’un assemblage de 19 protéines, son rôle est de sélectionner l’information génétique à consulter. La découverte a été publiée dans la revue Nature.
03/03/2020
« En l’observant nous étions éblouis, c’est comme si l’on découvrait un nouveau continent », raconte Patrick Schultz, chercheur à l’IGBMC, évoquant une « quête » débutée il y a 20 ans pour comprendre le fonctionnement des machines moléculaires, nommées ainsi car elles sont composées par un ensemble de protéines en mouvement. « Nous avons tous un même génome, pourtant les cellules de la peau expriment d’autres protéines que celles de la rétine. Comment alors, à partir d’un même matériau génétique, se produit une diversité de résultats ? », interroge le chercheur.
La cryo-microscopie électronique
L’ADN est formé par 4 lettres, leur nombre et leur ordre code l’information contenue dans un gène. Cette information est lue par une machine moléculaire, l’ARN polymérase qui lui donne sa fonction. Dans les années 80 la protéine TBP a été identifiée comme essentielle à l’identification du début des gènes. TBP est déposée au début des gènes à transcrire en fonction des signaux cellulaires reçus grâce à deux grands complexes moléculaires. Leurs noms ? TFIID, important pour les gènes ayant besoin d’être exprimés souvent, qui a fait l’objet d’une publication dans Nature communications il y a deux ans, et SAGA, objet de la publication actuelle. Ce dernier intervient plutôt dans les gènes transcrits en réponse à un stimulus extérieur, comme un stress cellulaire.
Première étape pour étudier l’organisation spatiale de SAGA, qui mesure 15 nanomètres : l’isoler de la cellule à partir d’extraits de levure, pour le purifier. Une étape difficile en raison de la faible abondance de SAGA dans chaque cellule et dont la mise au point a duré deux ans. Les chercheurs ont ensuite utilisé le cryo-microscope électronique Titan pour observer l’échantillon dont la structure hydratée est préservée en vitrifiant l’eau qui l’entoure. Cet équipement national installé sur le site de l’IGBMC permet d’enregistrer une image agrandie de chaque molécule. « Auparavant les détails atomiques de la structure n’étaient pas visibles car les échantillons étaient déshydratés », explique le biochimiste.
Deux millions d’images moléculaires
Une fois congelées, les molécules de l’échantillon sont irradiées faiblement pour éviter de les détruire. Le tout, à une température de -176°C. Deux millions d’images moléculaires sont enregistrées puis combinées pour former une vue en 3D de SAGA révélant la position de TBP ou encore l’emplacement et les interactions entre les 19 protéines qui le composent. « Le fait que Taf5, une des protéines de SAGA, interagit avec 11 protéines différentes nous a surpris. Une de nos hypothèses est qu’elle sert à centraliser et à transmettre des informations. »
Parmi ces protéines, la plus grande, appelée Tra1, interagit avec les activateurs de transcription et transmet les signaux cellulaires. Une protéine importante car sa mutation entraine une dérégulation des gènes observée dans certains cancers et des maladies en lien avec des déficits intellectuels. L’équipe a également déterminé la position et les sites d’interaction de la protéine TBP avec SAGA. Toutes ces informations ont été rendues accessibles à tous via la Protein Data Bank. Prochaine étape : « Acquérir 10 millions de molécules, pour avoir une vision encore plus précise de la structure de SAGA, afin notamment d’analyser sa dynamique et de pouvoir observer cette machine moléculaire en action. »
Marion Riegert