A la suite du colloque qui s’est déroulé en 2019, l’ouvrage « Frontière, migrations et mobilités en Alsace de 1870 aux années 1930 » paraîtra d’ici la fin de l’année aux Presses universitaires de Strasbourg. Les études réunies dans ce volume se penchent sur les origines, depuis 1870, et les conséquences, jusqu’à la fin des années 1930, du profond changement géographique et politique de 1918. Le point avec Ségolène Plyer, spécialiste des migrations forcées et des expulsions après la Seconde Guerre mondiale, qui dirige l’ouvrage aux côtés d’Anne-Lise Depoil.
14/09/2021
Pourquoi ce colloque ?
Les commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale ont donné lieu à des manifestations dans les musées du Rhin, en France, en Allemagne et en Suisse. Il y a eu des expositions auxquelles les archives départementales du Bas-Rhin ont participé. Elles m’ont demandé d’organiser une journée d’étude, elles voulaient une vision originale. Comme il y a eu des expulsions jusqu’au début des années 1920 en Alsace et que le sujet est peu traité, l’idée a été de partir de ces migrations forcées et de faire le point sur ce qui existe. Avec les collègues des archives, nous nous sommes pris au jeu et la journée d’étude est devenue un colloque international de trois jours, avec des invités venus d’Allemagne, des Etats-Unis et même de Singapour.
Comment la question des migrations est-elle abordée ?
Tous les mouvements du 20e siècle se retrouvent dans cette période d’entre-deux-guerres en Alsace. Les migrations ont impliqué tous les pays rhénans proches de l’Alsace, de la Suisse au Luxembourg, en passant évidemment par l’Allemagne. Elles mettent en question les problématiques nationales ou internationales. Les étudier, c’est voir comment se recomposent, à partir de ces mouvements de population, la société régionale et aussi les définitions nationales et le rapport de force international. Notre idée a été de traiter le retour de l’Alsace à la France en tentant d’accéder au point de vue des acteurs sur place (autorités civiles, armée, douaniers, migrants, entreprises, associations caritatives…) sans mettre l’argument national au centre : est-ce que c’est la France ou l’Allemagne ? Et ce, sur la base de travaux récents portant sur des sources d’archives pas encore utilisées.
Parlez-nous des migrations forcées ?
Dès 1917, les autorités décident d’éviter tout plébiscite si l’Alsace-Lorraine revient à la France. Finalement, il est décidé que les personnes qui ont une filiation régionale remontant à la période française avant 1870 peuvent rester en Alsace. Les immigrés, arrivés entre 1871 et 1918, ne peuvent pas être intégrés. Tous les éléments considérés comme dangereux sont chassés par l’armée et des « commissions de triage », y compris des Alsaciens qui, du fait de leur germanophilie, sont expulsés vers l’Allemagne. Certains Allemands furent tout de même naturalisés dans les années 1920 grâce au traité de Versailles du 28 juin 1919.
Comment ce changement de nationalité est-il vécu sur place ?
Ce qui est intéressant, c’est qu’en parallèle de la lente et progressive francisation de l’Alsace, il y a eu toute une recomposition des pays du Rhin en fonction des nouvelles frontières de 1918-1919. Par exemple, Yves Frey, historien, dans son intervention montre qu’il a été plus facile d’imposer un mode de vie français aux Polonais qu’aux Alsaciens dans les mines de potasse, tandis qu’Anne Friedrichs explique que ces Polonais venaient souvent de la Ruhr. Si l’on ajoute les tensions des années trente, cela aboutit à deux décennies de phénomènes d’intégration et d’exclusion en Alsace. Le volume s’achève sur deux témoignages, qui montrent leur postérité jusqu’à aujourd’hui.
Propos recueillis par Marion Riegert