Aux côtés de deux Britanniques, Pascal Mayer obtient un Breakthrough Prize 2022 en sciences de la vie pour le développement d'une méthode de séquençage d'ADN à très haut débit qui révolutionne les sciences du vivant. Le biophysicien de 58 ans revient sur son parcours des bancs de l’Université de Strasbourg à sa découverte.
23/09/2021
Originaire de Stiring-Wendel, « la même ville que Patricia Kaas », Pascal Mayer opte pour l’Université de Strasbourg pour ses études. « A l’époque elle seule proposait un cursus de biophysique, dans lequel on était deux… », se souvient le chercheur. Il poursuit par un DEA, équivalent du master actuel, à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire après un passage par la case service militaire.
Dans son groupe, le jeune homme qui apprécie particulièrement les sujets complexes travaille sur la détermination par résonance magnétique nucléaire de structures 3D de molécules d’ADN altérées. Nous sommes dans les années 80, « à l’époque, on pipetait des solutions radioactives à la bouche », sourit Pascal Mayer.
Son parcours se poursuit par une thèse à l’Institut Charles Sadron, situé alors à l’Orangerie, sur la dynamique de l’ADN durant l’électrophorèse en champs pulsés (PFGE). Une technique utilisée pour cartographier des génomes qui manipule de gros morceaux d’ADN. « J’étudiais la physique présente derrière cette technologie pour tenter de l’optimiser. »
Matelas pneumatique, pierre tombale et bac à fleurs
Son étude nécessite des instruments sophistiqués à optique laser qu’il développe en partie grâce au système D. A l’image d’une table anti-vibrations réalisée à l’aide d’un matelas pneumatique, d’une pierre tombale et d’un bac à fleurs. « Je suis adepte de la low-tech et c’est aussi pour ça que les étudiants français sont appréciés à l’étranger, car ils savent se débrouiller avec peu ! »
Une époque formatrice pour Pascal Mayer qui garde le souvenir d’avoir choisi une université pluricentenaire aux multiples Nobels « dont la continuité des savoirs se retrouve dans les bâtiments. La partie développement d’instrumentation m’a apporté des connaissances en optique et en programmation. Un élément clé pour poser les prémisses de la technique de séquençage que j’ai développée par la suite. »
Direction ensuite le Canada pour un post-doctorat à l’Université d’Ottawa où il retrouve l’électrophorèse de l’ADN. « J’ai eu l’idée de réaliser l’électrophorèse sans gel (ELFSE) permettant ainsi un gain de temps. » Trois ans plus tard, le biophysicien réalise un second post-doctorat à Pessac au Centre de Recherche Paul-Pascal.
« Une incroyable surprise »
Il obtient ensuite un poste en Suisse à l’Institut de recherche biomédicale de Genève de GlaxoWellcome où il développe une technique de séquençage à haut débit grâce à laquelle des millions de fragments de génomes peuvent être lus en même temps et ce un million de fois plus rapidement. Technique pour laquelle il reçoit presque 20 ans plus tard le Breakthrough Prize*.
« C’est une incroyable surprise d’autant qu’elle concerne une recherche menée de 1996 à 2003 et stoppée faute de financements. » Le prix de trois millions d’euros répartis entre les trois lauréats va lui permettre notamment de soutenir les recherches menées au sein de sa société Alphanosos. Créée en 2014, elle développe par intelligence artificielle des traitements botaniques contre les maladies liées aux biofilms bactériens et aux virus dont celui de la Covid-19.
« Pour moi, c’est amusant de créer de nouvelles technologies, c’est une activité stimulante », glisse celui qui réalise son premier réseau de neurones sur une calculatrice TI 59 au lycée. « C’est comme une sorte d’intoxication, je n’aime pas suivre des recettes, j’aime améliorer les choses ! »
Marion Riegert
* Chaque année, ces prix américains lancés par des entrepreneurs de la Silicon Valley récompensent les avancées majeures dans trois domaines : prix de physique fondamentale, prix en sciences de la vie et le prix en mathématiques.
La technique de séquençage à haut débit
Good to know
Lorsqu’il arrive à Genève, Pascal Mayer a déjà son idée en tête : proposer un séquençage massif en parallèle sur des structures 2D auto-formées. « L’approche académique consiste alors à couper le génome en gros morceaux, les positionner puis les couper en plus petit et ainsi de suite… cette approche venait d’être concurrencée par l’idée de couper directement le génome aléatoirement en petits morceaux et de les repositionner grâce à l’informatique. » Pour obtenir des structures qui s’auto-forment, le chercheur pense à la Polymerase Chain Reaction (PCR)* mais réalisée sur une surface solide. « J’ai compris qu’on pourrait créer ainsi des ilots d’ADN dans lesquels les copies de molécules ont toutes la même séquence, mais différentes d’un ilot à l’autre. Au bout de 20 à 30 cycles, on obtient un ilot d’un à deux microns, ce qui permet d’en mettre 100 000 par mm/2 et ainsi de faire tenir le génome humain entier sur une lame de microscope ! » Et cela en permettant une lecture rapide par microscopie de fluorescence, chaque prise d’image ne nécessitant que 1 à 10 secondes. « Je trouvais ça presque trop beau pour être vrai. » Finalement, cette technique de séquençage, commercialisée en 2007 représente 17 000 machines installées dans différents types de laboratoires. « Elle a mis du temps à s’imposer pour être aujourd’hui celle utilisée à 90%. Son avantage, au-delà de la vitesse et du coût, étant de pouvoir également avancer sans faire d’hypothèses sur les séquences recherchées. » Affaires criminelles, identification du coronavirus du COVID et de ses variants, identification de l’ensemble des espèces dans un milieu aquatique à partir d’un simple prélèvement d’une goutte d’eau… les applications sont nombreuses. « C’est une technologie simple efficace, massive avec à l’origine, une plaque de verre et un seul tube à essai… ».
*la PCR ou réaction de polymérisation en chaîne est une technique d'amplification enzymatique permettant d'obtenir un grand nombre de copies identiques d'un fragment d'ADN.