Depuis 2010, Camille Lancelevée, enseignante à la faculté de sciences sociales et chercheuse au sein de l’unité mixte de recherche Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe, s’intéresse à la santé mentale en prison. À travers une nouvelle enquête débutée en 2019, elle étudie plus spécifiquement les personnes sortant de prison dans 26 maisons d’arrêt en France.
06/10/2021
Camille Lancelevée découvre l’univers de la prison pendant ses études lorsqu’elle rejoint l’association étudiante Genepi pour laquelle elle donne des cours de préparation au brevet des collèges en milieu carcéral. Ce milieu devient son sujet de thèse de doctorat. Elle étudie alors la façon dont s’organise la prise en charge de la santé mentale dans le milieu carcéral.
« J’étudiais les prisons de deux métropoles, une française et une allemande, avec des prisons pour femmes et pour hommes », raconte la chercheuse dont l’ambition est alors de réaliser un état des lieux de la santé mentale sur place. Avec comme point de départ un scandale français : « à l’époque, on avait l’impression que les prisons devenaient « des prisons-asiles », je voulais comprendre pourquoi il n’y avait pas de scandale de même ampleur en Allemagne. J’y ai découvert un dispositif institutionnel totalement différent. »
Mieux comprendre les parcours de soin
Outre-Rhin, entre l’hôpital psychiatrique et la prison, se trouve l’institution médicolégal (Massregelvollzug). Cette dernière accueille les détenus entre « folie » et « crime », ou encore souffrant d’addictions. En France, c’est soit l’hôpital psychiatrique, soit la prison. « Beaucoup d’indices laissent penser que le mécanisme de tri amène à orienter de plus en plus des personnes ayant un trouble psychiatrique vers la prison, où la prise en charge est moins adaptée, même si les choses s’améliorent. Depuis 2010, il existe plusieurs unités d’hospitalisation (UHSA) à plein temps pour les personnes détenues. »
Après sa thèse, Camille Lancelevée rejoint une équipe pluridisciplinaire composée d’épidémiologistes et de psychiatres et dirigée par le professeur Pierre Thomas, chef de pôle de psychiatrie de Lille. Une enquête est en cours depuis 2019 auprès de plusieurs centaines de personnes sortant de prison dans 26 maisons d’arrêt en France.
« À l’aide de questionnaires administrés par les équipes soignantes sur place aux détenus, nous souhaitons mesurer la prévalence de troubles psychiatriques et étudier les parcours de soin. » Objectif : mieux comprendre ces parcours, avant, pendant et surtout à la sortie de la prison, moment très critique marqué par des ruptures de soins et une surmortalité très importante.
« Un effet pathogène de l’institution elle-même »
Un premier volet de l’enquête mené dans les Hauts-de-France sur les entrants en prison avait déjà permis de confirmer l’importance des troubles psychiatriques en population carcérale par rapport à la population générale. « La difficulté quand on mesure les troubles psychiatriques, c’est qu’on mesure aussi l’effet pathogène de l’institution elle-même. Cela pose la question de savoir ce qui, en prison, dégrade l’état de santé physique et mental des personnes. »
L’enquête possède un volet femme en métropole et un volet consacré à l’Outre-mer. Représentant 3,8% de la population carcérale, elles sont en moins bonne santé psychique et physique que les hommes. « Du côté de l’Outre-mer, il y a beaucoup de lacunes en termes d’accès aux soins. »
L’idée est de contribuer au débat public et signaler que la question de la santé mentale en prison n’est pas juste une histoire d’accès aux soins. Camille Lancelevée interroge également les politiques pénales et le quotidien de la prison : « comment occuper le temps inerte de la peine… » Résultats prévus fin 2022.
Marion Riegert