Durant leur thèse de médecine à l'Université de Strasbourg, Fauve Salloum et Fanny Rinaldo sont allées à la rencontre de 16 femmes internes en médecine générale de différentes régions pour recueillir leur vécu. Objectif : décrire le sexisme et les violences rencontrés par ces femmes et leurs répercussions sur la construction de leur identité professionnelle.
28/09/2021
« Toi t’es moche je ne te parle pas », « Vous avez de la chance que le droit de cuissage n’existe plus », « Ah attends, je te laisse il y a l'infirmière! »… « Quand nous avons commencé nos recherches, peu d’études existaient sur le sujet. » Le mouvement #MeToo change la donne. « Les travaux quantitatifs sur le sexisme dans les études médicales se sont multipliés mais il n’existait pas en France, à notre connaissance, d’étude qualitative comme celle que nous avons réalisée », précise Fanny Rinaldo.
Pour recueillir les témoignages et libérer la parole, 16 entretiens individuels semi-dirigés et compréhensifs sont menés entre février 2018 et avril 2019. Différents types de sexismes, pas forcément identifiés comme tels par les interrogées, sont décrits. Un sexisme qui vient s’ajouter aux violences hiérarchiques non genrées déjà présentes dans le milieu. « Sans parler du racisme ou de l’islamophobie. »
Les dossiers intéressants confiés aux internes hommes
Le sexisme est exercé de la part des supérieurs hiérarchiques hommes. Il se traduit par des petites phrases sur le ton de la plaisanterie, des remarques permanentes sur le physique, des surnoms réducteurs…. Ce sont également des missions différentes avec les dossiers intéressants confiés aux internes hommes et la pédiatrie et les sutures, « donc les enfants et la couture », pour les femmes. Sans oublier le harcèlement et des agressions sexuelles. « Un chirurgien a plaqué une interne contre un mur pour lui toucher la poitrine. Des mains sur les fesses sont aussi rapportées, parfois devant témoin mais personne ne dit rien. »
Les autres étudiants ne sont pas en reste, « mais c’est un sexisme plus facile à gérer. Sans oublier certains patients qui prennent les femmes médecin pour l’infirmière, la secrétaire ou même la femme de ménage dans le cas d’une interne d’origine étrangère. « Certains refusent d’être examinés par une femme et si un homme entre, quelle que soit sa profession, ils s’adressent systématiquement à lui. » Enfin, le sexisme peut venir des femmes elles-mêmes. « Il y a aussi une méfiance et une agressivité verbale parfois de la part des infirmières, les femmes internes ont plus besoin de faire leurs preuves. »
Face à ces agressions quotidiennes, des stratégies actives de défense sont développées par l’humour ou plus rarement la menace de dénonciation. « Il y aussi des stratégies d’évitement au niveau de l’habillement : elles arrêtent de se maquiller, de mettre du parfum. » Isolement, troubles alimentaires, sensation de malaise, de tristesse, pouvant aller jusqu’à la dépression et les idées suicidaires… les répercussions sont multiples.
Un déni des violences rencontrées
Durant les études, l’image d’un médecin fort est véhiculée. Les femmes interrogées rapportent ainsi que ces violences les obligent à mettre une carapace, une tolérance s’installe. « Comme ça se passe tout le temps, aux yeux de tous, cela devient la norme. La grande majorité des internes déclarent que leur internat s’est bien passé alors que plusieurs d'entre elles rapportent avoir vécu des insomnies ou de l'anxiété à l'idée d'aller travailler… il y a un déni des violences rencontrées », rapporte Fanny Rinaldo.
Les rares fois où des choses sont remontées, les réponses données sont rarement adéquates. « Les personnes ne sont pas toujours malveillantes mais elles ne sont pas formées à la question. Tout se gère en vase clos, il n’y a pas de protocole mis en place. » Un fort rejet de l’hôpital, associé à ces violences, est alors constaté avec une orientation vers la médecine générale.
« Souvent, après, les femmes ont envie de tourner la page, les internes s’en vont, les suivants arrivent et ça recommence », conclut Fanny Rinaldo qui évoque une démarche militante. « Nous n’avons pas parlé du point de vue des hommes mais c’est une piste qui reste à explorer. Ce travail mérite aussi d’être étendu aux professions paramédicales. Il y aurait beaucoup de choses également à dire dans les spécialités où la hiérarchie est encore plus présente... »
Marion Riegert
En chiffres
Plus d'informations
47 % des médecins en activité régulière en France en 2018 sont des femmes, mais elles ne constituent toujours, en 2020, que 8,1% des doyens de facultés de médecine en France, que 11,7% du bureau national de l’Ordre des médecins et seulement 7,4 % des membres de l’Académie nationale de médecine.
19,9% des postes de professeur des universités-praticien hospitalier et 27,6% de ceux du personnel enseignant tous corps confondus sont attribués à des femmes.
60,8 % des internes femmes déclarent avoir été confrontées au sexisme durant leurs études dans une étude de l’Intersyndicale nationale des internes menée en 2017.
58% des femmes du corps professoral et du personnel universitaire de l’académie nationale des sciences, de l'ingénierie et de la médecine ont déjà été victimes de harcèlement sexuel selon une autre étude du Lancet parue en 2019.