Kamala Harris, première femme vice-présidente des Etats-Unis, Jacinda Ardern, première ministre de Nouvelle-Zélande saluée par l’OMS pour sa gestion de la pandémie… Les femmes politiques accèdent depuis quelques années à la lumière même si en la matière la France reste à la traine. Entretien avec Mérabha Benchikh, sociologue politique associée au laboratoire Dynamiques européennes, spécialiste du sujet.
22/01/2021
Comment avez-vous accédé à ce milieu ? Qu’est-ce qui vous a étonné ?
Durant ma thèse soutenue en 2011, je suis devenue attachée parlementaire de Paulette Guinchard-Kunstler, députée et ancienne secrétaire d'Etat. J’y ai découvert un univers très sexiste avec la stupéfaction de percevoir qu'à ce haut niveau de responsabilités, les représentants de la République pouvaient dénigrer, dévaloriser et attaquer plusieurs femmes politiques sous prétexte qu'elles appartenaient au « deuxième sexe ». Il y avait un degré de moqueries, d'insultes, accompagnées parfois de harcèlement psychologique et sexuel. La vie privée des femmes était jetée en pâture sur fond de fausses rumeurs, de fantasmes voire de diffamation. Après observation, entretiens et analyse, j’en suis venue à la conclusion qu'au regard de certains hommes politiques : une femme politique représente avant tout un corps, à travers son altérité. Certaines femmes politiques ne sont pas en reste. Acceptées par leurs pairs, elles intègrent et intériorisent les codes masculins et tentent de faire de la politique « comme les hommes ». Comme diraient certains : « elles en ont ». D’où le titre de mon livre, Femmes politiques : "le troisième sexe" ?, paru en 2013 aux éditions L'Harmattan.
Comment la situation des femmes en politique a-t-elle évoluée ?
L’évolution des femmes en politique s’est faite de manière très progressive. Il y a eu un premier essai avec Lionel Jospin, alors premier ministre (1997 à 2002), qui nomme plusieurs femmes au sein de son gouvernement, y compris à des ministères prestigieux. Durant cette période, le 06 juin 2000, la première loi sur la parité permet davantage une entrée des femmes politiques, mais les premières élections apportent des résultats mitigés. S'ensuivent plusieurs lois dîtes sur la parité avec, toutefois, des disparités selon les places proposées aux femmes sur les listes électorales, la sexuation des délégations confiées… Forcée de constater une parité quantitative plutôt que qualitative. Autre évènement significatif : la candidature à l'élection présidentielle d'une femme, Ségolène Royal, représentant pour la première fois un parti de gouvernement. Durant l'année 1991-1992, Edith Cresson, première femme première ministre, avait déjà marqué l'histoire politique française. Depuis, aucune autre femme n'a été nommée à la tête d'un gouvernement malgré l'existence de femmes politiques d'expérience ou d'expertise. Il faut toutefois noter les résultats des dernières élections municipales avec la présence de plusieurs femmes à la tête de grandes métropoles, mais le 50/50 n'est pas encore à l'ordre du jour. Et dans le classement mondial des élues, les pays du Sud ne sont pas systématiquement derrière les pays du Nord, bien au contraire...
Quel est leur profil ?
Les tendances se dégageant cibleraient le niveau d'étude des femmes, souvent supérieur à celui des hommes ; leur profession et un non-cumul avec une carrière politique. Les situations conjugale et maternelle des femmes politiques démontrent qu’elles sont moins en couple que leurs homologues masculins. En moyenne, elles ont un enfant, contre environ deux par femme en France en âge de procréer, avec une grosse proportion qui n’en a pas. On les retrouve également en proportion moindre dans la tranche 30 à 45 ans, en raison de leur possible maternité. Ces femmes qui entament une carrière politique au niveau national, sont souvent issues de classes sociales ou socio-culturelles aisées facilitant leur trajectoire politique, leur permettant, ainsi, de recruter du personnel afin de déléguer certaines tâches domestiques et éducatives. La charge mentale ne les quittant toutefois pas...
Y-a-t-il une différence de traitement entre les femmes et les hommes en politique ?
Les femmes doivent toujours faire la démonstration de leur compétence. Elles font aussi plus attention à l’image qu’elles renvoient à travers le choix de leur tenue, leur posture, car les médias peuvent aisément scruter leur physique, leur allure et la commenter ce qui est largement moins le cas pour les hommes. Idem pour leur pseudo réputation, leur pseudo degré de séduction, leurs pseudo histoires sentimentales... L’accent est ainsi mis sur leur situation conjugale et familiale : est-ce qu’elles sont en couple ou non ? Avec un homme ou une femme ? Ont-elles ou non des enfants ? Dans tous les cas, pourquoi ? Pourquoi ?
Propos recueillis par Marion Riegert