L’équipe Dynamique et plasticité des synthétases dirigée par Hubert Becker, en collaboration avec des équipes japonaise, américaine et parisienne, a découvert chez les champignons dits « supérieurs » une voie de synthèse d’un lipide conjugué qui n’était jusqu’à maintenant connu que chez les bactéries.
03/07/2020
Les champignons forment une grande famille d’organismes eucaryotes qui possèdent des systèmes enzymatiques uniques. Une équipe de chercheurs strasbourgeois a découvert une nouvelle forme d’ergostérol (Erg), un composant lipidique essentiel des membranes cellulaires chez les champignons. La membrane cellulaire peut être modifiée par les cellules, notamment pour développer des résistances à des stress extérieurs. C’est un des mécanismes utilisés par les bactéries pour lutter contre l’action des antibiotiques. Un tel processus de modification de la membrane était encore inconnu chez les champignons.
Cette nouvelle forme de lipide est composée de l’ergostérol, de la famille lipidique des stérols, et d’un acide aminé : l’acide aspartique (Asp). C’est son mode de synthèse ARNt-dépendant qui a mis les chercheurs sur la voie de sa découverte. « Personne n’avait relevé la présence de lipides modifiés chez les champignons, alors qu’ils sont des organismes très étudiés. J’avais peur de me tromper », confesse Frédéric Fischer, chercheur dans la même équipe et co-premier auteur de l’étude. Finalement, c’est Nathaniel Yakobov, un étudiant de master, recruté par le laboratoire spécialement pour travailler sur cette thématique, qui valide l’hypothèse. En 2017, la thématique est même devenue l’objet de sa thèse. Il est celui qui confirme l’intuition de Frédéric Fischer : les lipides sont bien modifiés lorsque l’enzyme conjuguée est présente. « A partir de là, nous avons travaillé pendant 4 ans pour comprendre les mécanismes en jeux et valider définitivement notre hypothèse », explique le chercheur.
Un homologue bactérien à la ressemblance étonnante
« Nous travaillons sur une famille d’enzymes très anciennes, qui sont au cœur du décodage du code génétique : les aminoacyl-ARNt synthétases », rappelle Hubert Becker, professeur à l’Institut de physiologie et chimie biologique. Lors de la traduction, quand elle arrive vers le ribosome, la molécule d'ARNt porte déjà l'acide aminé attaché à son extrémité. C'est l'enzyme aminoacyl-ARNt synthétase qui catalyse la liaison de l'ARNt à son acide aminé. À cause des différents ARNt possibles, il existe aussi une diversité d'enzymes aminoacyl-ARNt synthétases. Celle sur laquelle travaille l’équipe assure la fixation de l’aspartate et s’appelle aspartyl-ARNt synthétase.
« Nous sommes partis d’analyses de séquences et nous avons réalisé que cette enzyme qu’on connait très bien présentait dans ce cas un domaine en plus. Et ce domaine nous rappelait un homologue bactérien impliqué dans la modification de lipides, appelé Mprf », explique Hubert Becker.
Enzyme similaire pour lipide différent
Chez les bactéries, l’enzyme Mprf cible uniquement les phospholipides. Les chercheurs strasbourgeois sont les premiers à découvrir une réaction de ce type avec l’ergostérol. « Il faut noter deux changements de paradigmes importants : c’est la première fois qu’un acide aspartique est transféré sur un lipide et, de surcroit, cette modification intervient sur un stérol », souligne Hubert Becker. L’ajout de l’acide aspartique sur le stérol forme le conjugué unique découvert par les chercheurs : l’ergostéryl-3β-O-L-aspartate.
La fonction de ce conjugué demeure encore inconnue mais sa présence chez un très grand nombre de champignons suggère qu’il pourrait être lié à des mécanismes importants dans leur survie. L’ergostérol est la cible principale des produits antifongiques utilisés dans le domaine médical. Une prochaine piste de recherche sera de déterminer si cette nouvelle modification contribue à la résistance ou à la virulence de certains champignons.
Léa Fizzala