04/10/2016
Une étude menée par des chercheurs français et allemands s’intéresse à l’évolution des dialectes alsaciens et badois. Les premiers résultats obtenus montrent qu’après avoir été une frontière politique, le Rhin est en train de devenir une frontière linguistique.
Quand les Alamans traversèrent le Rhin gelé, autour du Ve siècle, ils s’installèrent de part et d’autre du fleuve, créant ainsi un espace linguistique commun où l’on parle des dialectes alémaniques. Paradoxe : le Rhin ne s’est jamais franchi aussi facilement qu’aujourd’hui, mais les locuteurs dialectophones alsaciens et badois semblent ne pas percevoir cette proximité linguistique. Plus étonnant encore : les dialectes en Alsace et dans le Bade-Wurtemberg suivent une évolution très différente. C’est ce que montre une première étude franco-allemande à laquelle a participé Pascale Erhart, maître de conférences à l’Unistra et directrice du département de dialectologie alsacienne et mosellane.
« L’objet de ce projet de recherche, explique-t-elle, c’est de comprendre comment le Rhin, en tant que frontière nationale, est en train de couper cet espace linguistique commun. En effet, les caractéristiques dialectales locales sont en train de disparaître sous la pression des standards nationaux. »
Lors d’une campagne de terrain menée entre 2012 et 2014, Pascale Erhart et ses collègues de l’Unistra et de l’Université de Fribourg en Brisgau sont ainsi allés interviewer des locuteurs dialectophones, en leur faisant prononcer un grand nombre de phrases. Ils ont ainsi pu mesurer l’évolution des usages linguistiques.
« Certaines divergences dialectales sont en train d’apparaître, et s’ajoutent à la frontière nationale que forme le Rhin. »
Ce rapport à la frontière est au cœur de l’étude intitulée « Frontière linguistique au Rhin supérieur ». Selon Pascale Erhart, « beaucoup d’Alsaciens pensent qu’outre-Rhin, on ne parle que l’allemand. Et réciproquement, nombre de Badois considèrent qu’en Alsace, on ne parle que le français. » Il faut dire que depuis les années 1960 et 1970, les locuteurs sont de plus en plus mobiles. Selon l’Office pour la langue et la Culture d’Alsace (OLCA), entre 1946 et 2012, la part de dialectophones en Alsace est ainsi passée de 90,8% à 43%.
On aurait pu imaginer qu’avec l’ouverture de l’espace Schengen (1995) et l’utilisation d’une monnaie commune (1999), l’homogénéité de l’espace linguistique alémanique allait sortir renforcée. En fait, les chercheurs ont constaté un effet inverse : aujourd’hui, les échanges entre France et Allemagne n’ont jamais été aussi intenses et aussi simples, et pourtant force est de constater que les dialectes ne profitent pas de cette ouverture.
« En fait, tout se passe comme si une frontière linguistique avait pris le relais de la frontière politique. Le rapport à la frontière est devenu très complexe », conclut Pascale Erhart.
Un colloque consacré à la frontière
Good to know
Le colloque interdisciplinaire consacré aux frontières le 6 et 7 octobre 2016 est un bonne occasion pour la chercheuse alsacienne de s’intéresser à la notion de frontière sous d’autres aspects. « Ça pourrait être l’occasion de soulever de nouvelles pistes de recherche pour travailler sur ces données foisonnantes. »