A travers son livre Contrôler les assistés Vincent Dubois, chercheur au laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe s’intéresse à la logique de contrôle qui s’est développée dans les administrations sociales ces dernières années. Et ce au détriment des populations les plus défavorisées.
04/05/2021
Qu’appelez-vous un assisté ?
Je m’appuie sur la définition de la pauvreté proposée par Georg Simmel qui voyait dans l’établissement des pauvres comme groupe social le résultat de relations d’assistance. J’utilise donc ce terme en dehors de la connotation péjorative qu’il revêt dans les débats actuels.
Comment s’est déroulée votre enquête ?
Lors d’une enquête de terrain dans les caisses d’allocations familiales en 1995, j’avais été frappé par la suspicion fréquente que les agents d’accueil nourrissaient à l’égard des visiteurs. Au même moment, Alain Juppé commandait un rapport sur les pratiques abusives. Cette rencontre entre ce qui se passe au sommet de l’état et l’échelon subalterne a attiré mon attention. Début 2000, je suis retourné sur le terrain pour approfondir cette question. C’est l’époque où commence à se formaliser une politique de contrôle. J’y retourne de nouveau en 2016/2017, alors que cette politique s’est fortement développée, la longue durée de l’enquête me permettant de prendre la mesure de cette évolution. Pour cela j’ai multiplié les points d’entrée, de la cour des comptes aux enquêtes à domicile des contrôleurs, en passant par le débat politique ou le traitement de ces questions dans la presse.
Quelles sont vos principales observations ?
La standardisation, le renforcement et le durcissement des pratiques ont accompagné la mise en place de politiques nationales de contrôle. Quand la notion de fraude sociale s’est développée, la logique de toujours plus de contrôles s’est imposée avec la constitution d’une forme d’ascendant des positions les plus rigoristes et un affaiblissement des positions critiques qui pourraient les contrer. La raison du plus dur est devenue la meilleure, si l’on peut dire. On l’observe dans le débat politique, mais aussi dans les administrations. Par exemple, dans les commissions dans lesquelles sont qualifiés les cas de fraude, il est plus facile d’avoir une position sévère que de trouver des circonstances atténuantes, même quand les personnes qui les formulent occupent des positions hautes.
Les pauvres sont plus exposés aux sanctions ?
Un autre résultat a été d’illustrer la « gestion différentielle des illégalismes » dont parle Michel Foucault. Certains manquements sont plus ou moins acceptés en fonction des catégories sociales. L’arsenal développé pour lutter contre la fraude aux prestations sociales a ainsi plus évolué que celui proposé pour la fraude fiscale notamment dans l’usage de technologies statistiques pour identifier les cas possibles de fraudes. Avec un rapport de 1 pour 30 quant au montant de fraudes détectées. Cette gestion différentielle s’observe également au sein même de la population des bénéficiaires d’aides sociales. Statistiquement, plus une personne est en situation précaire, plus elle est exposée à des risques de contrôles et de sanctions.
Propos recueillis par Marion Riegert