A ce jour, plus de 15 000 scientifiques ont cosigné une tribune exhortant l’humanité à quitter « une trajectoire de collision avec le monde naturel ». Parmi les signataires de cet article, paru dans la revue Bioscience le 13 novembre 2017, figurent de nombreux scientifiques strasbourgeois. Points de vue croisés de trois chercheurs qui ont associé leur nom à ce cri d’alarme.
12/01/2018
« Ce manifeste est un appel désespéré à agir », commente François Criscuolo, chercheur CNRS en biologie évolutive à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC). Le biologiste se souvient du premier « World Scientist's Warning to Humanity » qui avait été écrit en 1992 à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio et cosigné à l’époque par plus de 1700 scientifiques, dont de nombreux prix Nobel. Il alertait déjà sur la réalité du changement climatique, les effets délétères de la pollution, l’érosion de la biodiversité et sur l’impérieuse nécessité d’agir pour réduire l’impact des activités humaines sur la planète. 25 ans plus tard, la situation a bel et bien changé. Elle s’est aggravée. « La perte de biodiversité est massive et les effets de la pollution sont de plus en plus évidents, note le chercheur. Je le constate même dans mon jardin. J’habite au pied des Vosges depuis 2011 et en l’espace de six ans, je me rends compte que les populations de passereaux ont beaucoup diminué. »
Inertie dangereuse
Maître de conférences en éthologie à l’Université de Strasbourg, Cédric Sueur a signé cet appel « pour tirer la sonnette d’alarme en pensant à nos enfants ». « Des COP organisées tous les ans appellent à changer les choses, la situation interpelle les citoyens, et pourtant rien ne change… » L’éthologue regrette l’état d’inertie dont les sociétés peinent à s’extraire. « Je ne comprends pas pourquoi l’économie continue de prévaloir sur l’écologie sur des sujets aux implications considérables pour la planète et notre santé. C’est le cas du glyphosate et des perturbateurs endocriniens. On est conscient de leur nocivité, mais on continue à les utiliser. »
Même si son travail quotidien de scientifique n’implique pas de suivre l’évolution des changements environnementaux, Kamila Muchowska, postdoctorante au sein de l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires (Isis), ne reste pas moins convaincue de l’urgence de la situation. Elle, qui consacre une partie de ses recherches à comprendre la chimie à l’origine de la vie, ne peut s’empêcher aujourd’hui d’imaginer toutes les circonstances qui pourraient amener la vie telle qu’on la connaît à prendre fin. « Cela ne manque pas d’ironie, remarque-t-elle. Etant au début de ma carrière, je ne peux malheureusement pas faire grand-chose pour changer les lois ou influencer les décisions politiques, mais signer cette tribune est une manière de faire entendre notre voix de façon collective. »
Alerter
Depuis sa publication, la tribune a continué à engranger les soutiens de scientifiques et compte désormais près de 20 000 signataires. Une mobilisation sans précédent. Pour la chimiste, elle n’est pas étrangère au fait que la communauté scientifique ressente un certain devoir de responsabilité : celui d’alerter sur les données collectées qui dessinent un horizon sombre et qui ont convaincu la quasi-totalité des scientifiques (97%) de l’origine anthropique du changement climatique. « Un tel consensus n’arrive quasiment jamais ! »
Ronan Rousseau