Le quotidien, moment en apparence banal, peut se révéler plus complexe qu’il n’y parait à étudier. Corinne Grenouillet, chercheuse au sein de l’équipe d’accueil configurations littéraires, revient sur cette notion qui a fait l’objet d’un colloque international : « Les écritures contemporaines du quotidien : une cartographie. »
25/06/2019
Qu’appelle-t-on le quotidien, quand cette notion est-elle née ?
Chaque invité du colloque a tenté de le définir et de voir comment il s’était décliné dans la littérature française. Le terme quotidien vient du latin quotidie qui signifie ce qui se réalise tous les jours. C’est une notion qui existe depuis l’Antiquité. Elle a été conceptualisée pour la première fois dans le domaine des sciences humaines dans les années 60 par les philosophes Henri Lefebvre et Michel de Certeau qui parlent de la manière de se l’approprier. Le critique littéraire Maurice Blanchot évoque pour sa part une dimension insaisissable à distinguer du banal, du familier, du répétitif. La notion entre ensuite en littérature dans les années 1970-1980.
Le quotidien est-il lié à un ou plusieurs genres littéraires ?
Pour Michael Sheringham, professeur de littérature, qui retrace la genèse de la notion de quotidien et des pratiques d’écriture que celui-ci suscite, le quotidien ne peut pas figurer dans le roman, il ne peut pas être narratif. Pourtant, il s’avère que le quotidien touche tous les genres littéraires. Il donne lieu à de nouvelles formes d’écriture et notamment des formes expérimentales. On le trouve chez Georges Perec sous forme de listes, de fragments. Dans l’ouvrage de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, où la journaliste s’est glissée dans la peau d’une femme de ménage, il est traité sous la forme du reportage et devient la matière même du récit. Sans oublier la poésie de Nathalie Quintane Chaussure, « qui parle vraiment de chaussures », ou le théâtre de Pauline Peyrade, avec sa pièce Ctrl X qui raconte l’histoire d’une femme chez elle devant son ordinateur.
Y-a-t-il des ouvrages du quotidien ?
Le quotidien est partout mais le colloque a privilégié les textes littéraires qui le prennent pour objet. Ecritures « infra-ordinaires », documentaires ou fictionnelles, voyages de proximité, explorations urbaines… ces écritures reflètent la volonté de saisir l’essence même du quotidien, à l’image de François Bon qui, dans Paysage fer, décrit le trajet Paris-Nancy qu’il effectue en train chaque semaine. Il y a aussi Annie Ernaux et sa description du supermarché dans Regarde les lumières mon amour ou Georges Perec installé place Saint-Sulpice pour noter tout ce qu’il voit, avec à la fin une certaine lassitude : « Encore un pigeon. » (Tentative d’épuisement d’un lieu parisien). Des artistes se sont également penchés sur le quotidien comme Anne-James Chaton. Le performeur expose des tickets de caisse sur sa page Instagram qui deviennent les « preuves de l’existence de je ».
Pourquoi écrire sur le quotidien ?
C’est une façon pour les écrivains de se confronter au réel, il peut y avoir une visée sociale ou une dimension d’engagement politique. C’est une manière d’accéder à une forme de réalisme dont les genres narratifs ne rendent pas compte. L’écrivain Emmanuel Adely note ainsi tous les jours dans un journal ce qu’il paye. Un recensement qui permet de jour en jour de dresser un portrait en creux de l’auteur mais aussi de l’homme d’aujourd’hui qui est un consommateur. Si ces écritures représentent une tendance de la littérature d’aujourd’hui, elles se situent dans un champ de production restreinte avec un lectorat limité…
Marion Riegert
Le colloque en bref
Good to know
Avec comme champ d’étude les littératures d’expression française, sans exclusion de genres à partir de 1980 à nos jours, le colloque international « Les écritures contemporaines du quotidien : une cartographie » a l’ambition de rendre compte de la diversité de ces textes, d’en dessiner la cartographie, et de définir leur place dans le paysage littéraire de notre époque.
Organisé en partenariat avec Alison James, Université de Chicago, et Maryline Heck, Université de Tours, le colloque s’est décliné en quatre journées d’étude qui ont eu lieu sur deux sites, Paris et Strasbourg, pour 25 conférences au total.