Des potagers et des militants

05/11/2021

L’ouvrage Militantismes et potagers, édité en octobre 2021 par Laurence Granchamp avec la collaboration de Sandrine Glatron, toutes deux chercheuses au laboratoire Dynamiques européennes, traite une des thématiques du colloque « Ordre et désordre au jardin » qui s’est tenu en 2016 à l’Université de Strasbourg. Et ce à travers différentes perspectives notamment sociologiques et géographiques.

« Nous avons l’impression qu’il y a de plus en plus de mobilisations autour des potagers, mais peu de recherches pour expliquer le phénomène d’un point de vue sociologique », souligne en préambule Laurence Granchamp.

Jardins, jardinage, politiques urbaines liées à la nature et l’alimentation depuis les années 2010, structuration de réseaux de militants à l’échelle européenne, l’ouvrage s’intéresse essentiellement aux espaces gérés et investis collectivement à travers 12 contributions.

C’est un phénomène qui traverse toutes les classes sociales et milieux de vie. Y compris les urbains qui viennent s’implanter en milieu rural. « Ils ont une certaine vision, parfois différente des pratiques locales. L’un des chapitres montre comment ces urbains amènent avec eux des conceptions du jardinage, et comment ces dernières structurent des réseaux sociaux locaux. Par exemple, pour simplifier, ceux qui s’inspirent de la permaculture se distinguent de ceux qui se réfèrent aux savoirs des anciens, notamment sur les questions de productivité, d’esthétique ou de biodiversité », précise Laurence Granchamp.

Instruments de contrôle social et de contestation

« Certains jardins portent la parole et le geste d’ordre politique dans la cité », poursuit Sandrine Glatron qui évoque également la question du genre avec un investissement plutôt féminin dans les jardins partagés. « Les types de potagers peuvent être à la fois instruments de contrôle social et de contestation, plus ou moins radicale », complète Laurence Granchamp. Une contestation qui peut passer par l’occupation de lieux, à l’image de la Zad des Lentillères à Dijon, investie par un collectif de militants composé de maraichers, habitants ou encore chercheurs, pour lutter contre un projet immobilier d’écoquartier.

Autre forme de contestation, dont la visibilité est assurée principalement par les communications sur les réseaux sociaux et Internet, l’investissement dans la culture de petits espaces. Par exemple, les guérilleros jardiniers en Angleterre qui s’approprient des lieux carrefour comme les ronds-points ou des espaces délaissés. « Ces formes de contestation passent par un investissement de soi qui peut aller jusqu’à transformer la vie de la personne qui cherche à mettre en adéquation son mode de vie et ses idées », explique Laurence Granchamp.

Les guérillera jardinières

L’ouvrage propose également une perspective internationale avec l’exemple de Kazan en Russie, de Rome ou de Manchester. En Amérique du Nord, la notion de justice sociale et alimentaire, reposant sur des inégalités de classe, de race et de sexe, est plus développée. « Une école propose par exemple des formations à l’agriculture urbaine pour des personnes issues de minorités, permettant de voir comment à travers cette pratique, elles peuvent être valorisées. »

Ces mobilisations sont à resituer dans une temporalité plus large. Comme le premier chapitre le rappelle, la suppression des espaces pâturés de manière collective depuis le 16e siècle est à l’origine au Royaume-Uni de premières grandes mobilisations pour un droit à cultiver. Les jardins ouvriers, eux, remontent à la fin du 19e siècle. Dans les années 1970, apparaissent aux Etats-Unis les mobilisations du type guérilla jardinières, qui ont inspiré les jardins partagés. « On pourrait être tenté de voir dans les jardins partagés actuels la synthèse de ces mobilisations précédentes. Mais ce serait gommer la grande diversité que prennent les mobilisations contemporaines », précisent de concert Laurence Granchamp et Sandrine Glatron.

Marion Riegert

Genèse de l’ouvrage

Plus d'informations

L’ouvrage Militantismes et potagers fait suite au colloque « Ordre et désordre au jardin » qui s’est tenu en mars 2016. Un premier livre en anglais, The urban garden city, coordonné par Sandrine Glatron avec la collaboration de Laurence Granchamp, est publié en 2018. Il rassemble les contributions relevant de l’urbanisme, de l’histoire et de la géographie présentées initialement lors du colloque. Il contient notamment un chapitre sur les jardins romains aux 19e et 20e siècles comme lieux de pouvoir.

Le colloque « Ordres et désordres au jardin » est lui-même le prolongement de collaborations plus anciennes, qui ont démarré dès 2013 avec l’organisation à Strasbourg d’une école d’été sur l’agriculture urbaine, sur le modèle de celle qui se tient chaque année à Montréal.  Elle a rassemblé chercheurs et praticiens autour de ces questions, une première en Europe.

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