Du photorécepteur de l’œil aux moteurs moléculaires

05/02/2018

Une équipe du Département d’optique ultrarapide et de nanophotonique de l’Institut de physique et de chimie des matériaux de Strasbourg est parvenue à comprendre une partie du mécanisme qui active la Rhodopsine, le photorécepteur de la vision présent sur notre rétine. Décryptage avec Jérémie Léonard, chercheur, qui nous a ouvert les portes de son laboratoire.

Jérémie Léonard étudie depuis 15 ans la photoréaction des molécules, autrement dit comment l’absorption de la lumière par certaines molécules déclenche des réactions chimiques convertissant ainsi l’énergie lumineuse en énergie chimique ou mécanique.

Le chercheur et son équipe se sont penchés sur le cas de la Rhodopsine. Cette protéine est un photorécepteur naturel présent dans la membrane de certaines cellules sur la rétine dont l’activité est déclenchée par l’absorption de la lumière. « La Rhodopsine existe dans tous les systèmes de vision connus », explique le physicien qui ne s’intéresse pas à la fonction biologique de cette molécule mais à son mécanisme unique de photo-activation.

Un interrupteur déclenché par la lumière

« Quand le rétinal, qui constitue une partie de la protéine, absorbe la lumière, un mouvement de rotation s’effectue autour d’une double liaison. C’est une réaction extrêmement rapide avec un rendement très bon de 70% environ ce qui veut dire que très peu d’énergie est perdue. C’est le résultat de l’évolution naturelle qui fait que notre détecteur pour la vue est une sorte de machine moléculaire optimisée », poursuit le chercheur qui précise : « A cause de cette rotation, une contrainte s’exerce au sein de la protéine qui change de structure. Cela active son interaction avec son environnement et déclenche une longue chaine de réactions biochimiques aboutissant à un signal nerveux que le cerveau interprète comme : « je vois de la lumière ». » Le rétinal est donc un interrupteur moléculaire, déclenché par la lumière, dont le rôle est de démarrer une fonction biologique.

« Une conversion d’énergie lumineuse en énergie mécanique de rotation est réalisée dans d’autres systèmes naturels ou synthétiques, afin de déclencher une fonction ou réaliser des moteurs à l’échelle moléculaire. Ce domaine de la chimie a d’ailleurs été récompensé par l’Académie Nobel en 2016 », glisse le chercheur. « Avec ce type de photoréaction, il a été démontré qu’on peut déclencher l’activité d’un médicament où l’on veut, ou permettre de commander la vie ou la mort d’une cellule grâce à la lumière. »

Percer le mystère de la vibration moléculaire

Mais à ce jour, aucun interrupteur moléculaire synthétique ou naturel n’est aussi rapide que le rétinal dans la Rhodospine. « Ce qui est unique dans la Rhodopsine, c’est que la photoréaction a lieu plus vite que la dissipation d’énergie. C’est une des clés de son rendement élevé. » L’équipe du laboratoire tente de comprendre le mécanisme de cette conversion d’énergie optimale à l’échelle moléculaire pour le reproduire dans une molécule de synthèse. Pour ce faire, l’équipe strasbourgeoise travaille en collaboration avec l’Université de Sienne en Italie où des théoriciens en chimie quantique ont étudié ce mécanisme puis proposé la synthèse d’une molécule avec plusieurs variantes. « Nous étudions ces molécules expérimentalement. Leur réaction est aussi rapide, mais reste moins efficace que celle du rétinal dans la rhodopsine. »

Récemment, le laboratoire est parvenu à franchir une nouvelle étape dans la compréhension du mécanisme du rétinal. En étudiant deux molécules légèrement différentes, une possédant une double liaison plane et une autre avec une double liaison légèrement tournée, ils ont observé que seule cette dernière fonctionnait comme la Rhodopsine. Pour le moment, les chercheurs ont réussi à démontrer pour la première fois une rotation photo-induite plus rapide que la dissipation d’énergie, mais il reste encore à optimiser les mouvements moléculaires annexes afin d’atteindre l’efficacité de mouvement du rétinal. « Quand elle est excitée, en plus du mouvement de rotation, la molécule vibre, ce sont ces vibrations qui permettent d’optimiser son rendement.» Prochaine étape donc : reproduire les mécanismes mis en jeu dans l’interaction entre la protéine et le rétinal qui contrôlent ces vibrations annexes. 

Marion Riegert

Côté méthode

Good to know

Pour son étude, l’équipe du Département d’optique ultrarapide et de nanophotonique utilise la spectroscopie laser. « La rotation de la molécule se fait en moins de 200 femto-secondes (1 femto-seconde correspond à 10-15 secondes autrement dit un milliardième de microseconde.) Il n’y a aucun détecteur aussi rapide dans aucun laboratoire,  à part des impulsions laser, c’est pourquoi nous les utilisons pour notre recherche. Quand une molécule est excitée, sa signature spectroscopique change et si elle effectue cette rotation en 200 femto-secondes, elle change à nouveau. C’est ce qui permet « d’observer » la rotation et les vibrations des molécules et d’en mesurer la vitesse et l’efficacité. »

Réseaux et partenaires de l'Université de Strasbourg

Logo Établissement associé de l'Université de Strasbourg
Logo de la Fondation Université de Strasbourg
Logo du programme France 2030
Logo du CNRS
Logo de l'Inserm Grand Est
Logo du programme HRS4R
Logo du réseau Udice
Logo de la Ligue européenne des universités de recherche (LERU)
Logo de EUCOR, Le Campus européen
Logo du réseau Epicur