Erdoğan, un chef d’Etat qui dicte sa loi

24/04/2018

Recep Tayyip Erdoğan vient d’avancer au 24 juin la date de la présidentielle et des législatives prévues en 2019. Responsable de la licence du département d’études turques, Samim Akgönül revient sur le revirement qu’a connu la politique turque ces dernières années « du rêve d’Europe au cauchemar du Proche-Orient. »

La Turquie était en chemin pour entrer dans l’Union européenne. Aujourd’hui, elle s’est totalement tournée vers le Proche-Orient, parlez-nous de ce revirement ?

Le projet de civilisation a changé. La Turquie avait une ambition occidentale de 2002 à 2007, durant le premier mandat de Recep Tayyip Erdoğan. C’est la période de la réforme, une période ultra-libérale de conformité avec le cadre européen. En 2007, il y a eu un revirement extraordinaire, suivi d’une rupture en 2010 et la prise du pouvoir par les islamistes par le biais d’un référendum le 12 septembre. Le printemps arabe leur a donné des ailes, ils n’avaient plus besoin de partenaires européens. L’idée d’Erdoğan étant de devenir le leadeur du monde musulman. La Turquie est devenue un parti-état tourné vers le Proche-Orient, la page de l’Union européenne a été fermée. Un pacte à tout de même été passé. En 2016, la Turquie s'est engagée à retenir les réfugiés chez elle. En échange de cet accord, l’Europe a promis de lui verser trois milliards d’euros, sans oublier une promesse d’assouplissement des VISA. Nous en sommes là...

Quels sont les principaux changements intervenus depuis 2010 ?

Il y a eu une diminution de l’espace des libertés de première génération comme le droit à la sécurité et de deuxième génération avec la liberté d’expression, les salaires. Une partie des réformes enclenchées pour l’entrée dans l’UE ont été abrogées. L’opposition est réprimée. L’éducation nationale a été confessionnalisée par l’ouverture d’écoles imam-hatip avec une baisse des matières scientifiques, la disparition de la théorie de l’évolution et plus de matières religieuses. L’idée d’Erdoğan étant de créer une génération « attachée à sa religion et à sa haine. » Le pouvoir étatique contrôle le rachat des grosses entreprises et détermine qui va devenir riche. L’appareil judiciaire a été réformé. La place de la femme a changé et les conservatrices sont désormais mises en avant. Le port du voile, sans devenir obligatoire, a augmenté alors qu’avant les jeunes filles voilées ne pouvaient pas étudier à l’université, c’était interdit.

Peut-on parler de dictature ?

Il existe une économie de marché, il y a beaucoup de médias même s’ils sont sous contrôle, une élite occidentalisée, en ce sens ce n’est pas une dictature comme en Corée du Nord.  En revanche, on peut employer le terme de dictature au sens de « celui qui dicte ». Exécutif, législatif et judiciaire, du point de vue des trois pouvoirs, il y a une personne qui dicte sa volonté. La balance n’existe pas. A partir de 2019, si Erdoğan est réélu, il n’y aura plus de premier ministre mais qu’un président. Tout cela s’est accentué avec la guerre en Syrie qui a été génératrice d’un resserrement et d’une galvanisation autour du chef. Sans parler de l’état d’urgence. Décrété il y a un an et demi, il permet de sortir des décrets/loi.

Quelle place occupe la Turquie dans le conflit syrien ?

Le chaos en Syrie a créé l’Etat islamique soutenu au début par Ankara qui lui achetait du pétrole tout en se battant contre Bachar el-Assad, son premier ennemi. Les Kurdes, ennemis d’Ankara, eux, se battent contre l’Etat islamique. Avec les attentats commis en Turquie, ce dernier est passé d’allié à ennemi pour le régime turc. Erdoğan a fait alors le choix de s’allier aux Russes contre les Kurdes afin d’éviter la création d’une région kurde autonome au nord de la Syrie. Ankara soutient également les militants de l’Armée syrienne libre, une organisation formée en partie par des militants d’Al Nousra, une émanation d’Al-Qaïda. En jeu, en filigrane, la domination du pétrole de la Syrie.

Marion Riegert

Un livre en préparation

Good to know

Samim Akgönül effectue des recherches sur le concept de minorité du point de vue historique, politique, juridique et sociologique. Le tout, avec trois terrains de recherche : les minorités religieuses en Turquie, les minorités musulmanes dans les Balkans et les « nouvelles minorités » issues de migrations en Europe occidentale. « Certains Algériens, Turcs, Sénégalais… sont nés et ont grandi en France alors qu’ils sont perçus comme des gens venus de l’étranger. Souvent, les minorités se projettent ailleurs mais un ailleurs construit comme une échappatoire. » Le deuxième volet de la recherche de Samim Akgönül est historique et porte sur la politique de la Turquie contemporaine de la fin de l’Empire ottoman à notre époque. Un livre sur le sujet est en préparation : « La Turquie « nouvelle » du rêve d’Europe au cauchemar du Proche-Orient ».

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