Faire rougir une molécule en lui volant son électron

19/07/2018

Pour la première fois, une équipe strasbourgeoise de l’IPCMS a montré qu’il est possible de sonder l’état de charge d’une unique molécule via la mesure de son spectre optique. Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des mécanismes en jeu dans des processus tels que la photosynthèse ou dans des dispositifs optoélectroniques organiques, comme les panneaux photovoltaïques. Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans Science le 20 juillet 2018.

Un travail à l’échelle de la molécule unique

L’équipe de Guillaume Schull, chercheur au département Surfaces et interfaces de l’IPCMS travaille à l’échelle de la molécule unique. « Il est possible d’injecter des électrons dans une molécule à un endroit précis. Dans ce processus d’injection, certains de ces électrons transfèrent leur énergie à la molécule, entraînant l’émission de lumière par cette dernière. La couleur de la lumière émise dépend de la structure de la molécule, de son environnement ou, comme ici, de son état de charge », explique Benjamin Doppagne, doctorant qui planche sur le sujet depuis 2016. En analysant la lumière émise grâce à un spectromètre et une caméra ultra-sensible, les chercheurs peuvent déterminer de quelle molécule il s’agit, obtenir des informations sur son proche environnement, ou encore savoir si la molécule a piégé ou libéré un électron.

Une nouvelle forme de microscopie optique

Pour réaliser des images de molécule unique et les sonder, les chercheurs se sont servis d’un microscope à effet tunnel (cf schéma). « Il est constitué d’une surface métallique en face de laquelle est placée à environ 1 nanomètre de distance, une fine pointe métallique. En physique classique un courant électrique ne peut pas traverser le vide séparant la pointe de l’échantillon. Mais à l’échelle du nanomètre le monde est régi par les lois de la physique quantique. Les électrons se comportent comme des ondes et peuvent se propager entre la pointe et la surface, donnant naissance à un très faible courant électrique : le courant tunnel », résume le doctorant. En mesurant les variations de ce courant lorsque l’échantillon est balayé avec la pointe, il est possible de cartographier sa surface et les molécules qui s’y trouvent. « La nouveauté de notre approche est que nous utilisons également ce courant tunnel pour exciter la molécule afin d’obtenir son spectre optique. Nous parvenons alors à une nouvelle forme de microscopie optique dite « hyper-résolue ». Le tout s’effectue dans un environnement à basse température (-269°C), pour que les molécules soient immobiles, et dans des conditions d’ultravide.

Vers une meilleure compréhension des processus biologiques

Grâce à ce dispositif, les chercheurs ont également pu contrôler l’état électrochimique de la molécule. « Nous arrivons par exemple à enlever un électron pour obtenir une molécule chargée positivement, ce qui se traduit par un changement de la couleur de la lumière émise qui passe de l’orange à un rouge profond pour notre molécule. » Ces transformations mettent en jeu des transitions entre différents états électroniques de la molécule, transitions qui sont au cœur d’un grand nombre de processus biologiques comme la photosynthèse, ou présentes dans des étapes clés du fonctionnement de dispositifs optoélectroniques organiques, comme les panneaux photovoltaïques.

Et après ?

Prochaine étape : répéter l’expérience en ajoutant d’autres molécules pour voir comment l’énergie est transférée entre molécules à l’instar de ce qu’il se passe dans la photosynthèse. A terme, ces recherches pourraient permettre d’envisager une molécule à la fois comme un composant optique et électronique ce qui permettrait de réduire la taille des circuits électroniques actuels qui reposent essentiellement sur l’utilisation de matériaux semi-conducteurs. L’intérêt de ces nouveaux composants électroniques est qu’ils font également émerger de nouvelles propriétés gouvernées par la physique quantique. « Ceci laisse présager de nouvelles applications, impossibles à réaliser avec les composants électroniques actuels », précise Guillaume Schull.

Marion Riegert

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