Georg Trakl, la traduction comme interprétation musicale

01/06/2021

Dans Les Chants de l’Enténébré, Michèle Finck, chercheuse au laboratoire Configurations littéraires et elle-même poétesse, propose une traduction inédite de 19 poèmes de Georg Trakl. Une traduction qui privilégie la musicalité de l’œuvre de ce poète allemand mort à 27 ans après avoir connu les horreurs de la guerre et de l’inceste. 

L’histoire entre Michèle Finck et Georg Trakl se noue dès son adolescence lorsque cette dernière traduit des textes du poète au côté de son père. « Il avait réalisé une thèse sur Trakl et était en charge de l’édition Garnier Flammarion en Français de son œuvre. » Depuis la chercheuse, spécialiste du lien entre la poésie moderne et les arts, n’a cessé de travailler sur ses poèmes jusqu’à se lancer dans l’édition de 19 d’entre eux.

« J’ai trouvé que les traductions proposées n’étaient pas toujours celles que j’aurais aimé lire », souligne Michèle Finck qui choisit les poèmes pour lesquels elle a un rapport de passion. Des poèmes qui posent également des problèmes de traduction non résolus par les traducteurs.

« Quand Trakl utilisait un mot, j’ai utilisé à chaque fois le même ce qui n’est pas le cas des autres traductions. Une des difficultés a été les termes « Leise » et « Stille » des nuances du silence difficiles à traduire en français où un seul mot existe », explique la chercheuse qui use de l’infinitif pour rendre le neutre utilisé en allemand par le poète. Mais ce qu’elle souhaite avant tout, c’est faire entendre de manière plus nette la musique verbale de l’œuvre de Trakl en travaillant sur la traduction comme une interprétation musicale.

Les Castor et Pollux de la poésie européenne

Une méthode qu’elle nomme la « clairaudiance » : « C’est le fait d’écouter la langue pour restituer l’univers sonore et rythmique d’un texte. Sans cela, on n’entend pas le texte dans sa traduction. » Pour ce faire, la poétesse « essaye de traduire par l’oreille, en étant attentive au rythme et en s’aidant par l’écoute de compositions que Trakl appréciait. » Sa sœur, avec qui il entretenait une relation incestueuse, jouait beaucoup de piano. « Quand on pense à Trakl, on entend la musique de Schubert et de Wagner. »

Une traduction pour laquelle Michèle Finck invoque également des poèmes de Rimbaud. « Je voulais faire entendre les filiations entre Trakl et la modernité. « Ce dernier est surnommé le Rimbaud autrichien. Ils sont comme les Castor et Pollux de la poésie européenne, sur une ligne de crête entre poésie et folie… » A la différence près que Rimbaud est toujours dans la recomposition quand Trakl exprime le déclin et la décomposition.

L’héritage romantique et expressionniste

Autre source d’inspiration pour le poète : Baudelaire auquel Trakl fait référence notamment dans les poèmes « Spleen » et « De profundis. » « Il pousse encore plus au bout la part maudite de Baudelaire. » Sans oublier, l’héritage romantique et expressionniste allemand avec une proximité avec Novalis ou Hölderlin, poète de la folie.

Le titre, Les Chants de l’Enténébré, fait référence au mot central de l’œuvre de Georg Trakl « Umnachtung » traduit d’ordinaire par « fou » ou « folie », des mots auxquels Michèle Finck préfère « enténébré ». « J’y entends Nacht, l’idée de ténèbres. » Une référence à l’inceste mais aussi à l’expérience de la guerre de Trakl qui sera suivie d’une descente aux enfers dans la lignée du mythe d’Orphée mais à laquelle Trakl ne survivra pas. « Il n’accomplit pas la troisième étape du mythe et reste aux enfers où l’œuvre se clôt. »

Marion Riegert

Une mort énigmatique

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« Ne croyez pas que le destin soit plus que la densité de l’enfance », cette phrase de la 7e élégie de Rilke résume à elle seule l’œuvre de Georg Trakl dont le destin est contenu dans son enfance. Le poète nait le 3 février 1987 à Salzbourg dans un milieu bourgeois et éduqué. Il grandit auprès de ses sept frères et sœurs, élevé par une gouvernante alsacienne qui lui apprend le français. « Sa mère était d’une grande froideur vis-à-vis de ses enfants, une ligne de faille déterminante pour son œuvre », souligne Michèle Finck. S’ensuit une crise d’adolescence très forte avec la prise de drogue dans la mouvance des paradis artificiels et l’inceste avec sa sœur cadette, source d’une culpabilité qui traverse son œuvre. Le poète s’inscrit ainsi dans la filiation verlainienne des poètes maudits.

Son destin se noue à la bataille de Grodek en août 1914 où il est mobilisé dans les services sanitaires comme pharmacien militaire pour s’occuper d’une centaine de blessés graves, sans médicaments. Une expérience à la suite de laquelle il tentera de se suicider. Il mourra finalement le 3 novembre 1987 à Cracovie à l’âge de 27 ans, suite à l’absorption de cocaïne. « Une mort énigmatique caractéristique de l’ambiguïté de son œuvre. » Les autorités médicales ayant conclu à un suicide, alors que ses amis parlent d’overdose. Il laisse derrière lui une centaine d’écrits rédigés en quatre ans, dont certains ont été publiés de son vivant par l’éditeur allemand Ludwig von Ficker.

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