2021 marque le cinquantenaire de Tribaliques. Un recueil de nouvelles d’Henri Lopes, rédigé lorsqu’il est ministre de l’éducation nationale au Congo, qui le propulse sur la scène littéraire. Pour célébrer l’évènement et rendre hommage à cet auteur, Anthony Mangeon, directeur de l’équipe d’accueil Configurations littéraires et de l’Iti Lethica, décide de sortir simultanément deux livres : un ouvrage collectif et une monographie.
13/10/2021
Qui est Henri Lopes, et pourquoi vous-êtes-vous intéressé à lui ?
Ecrivain, homme politique et diplomate, Henri Lopes est aujourd’hui un « classique africain », et l’un des derniers auteurs encore en vie à avoir connu la colonisation et à avoir joué un rôle de premier plan dans l’essor des indépendances africaines. Né en 1937 au Congo, à 35 ans, il devient Premier ministre au moment où tout est encore à construire. Il officie ensuite à l’Unesco en tant que directeur général adjoint pour la culture avant de devenir ambassadeur de la République du Congo en France. C’est aujourd’hui un des auteurs francophones les plus lus et les plus étudiés en Afrique. Ce qui est intéressant, c’est la densité de son expérience historique. Il s’inscrit dans plusieurs traditions littéraires : française, africaine ; celle des écrivains diplomates et celle des écrivains politiques. Avec une dimension toujours double : un double parcours, littéraire et politique ; une œuvre double publiée en Afrique puis en Europe. Son œuvre porte sur l’histoire politique africaine de l’époque coloniale et post coloniale sans oublier les questions de métissage. J’ai eu l’occasion de l’inviter à l’Université de Strasbourg en 2017, lors d’un colloque que nous avions organisé sur la relation franco-africaine. Il est actuellement hospitalisé, et je voulais sortir ces deux ouvrages rapidement pour pouvoir les lui envoyer et qu’il les ait de son vivant.
Parlez-nous de l’ouvrage collectif « Henri Lopes : coups doubles » ?
Dans cet ouvrage, nous abordons la carrière politique et littéraire d’Henri Lopes sous le signe du jeu, du double, voire du double jeu. Un homme politique et un diplomate ne dit pas toujours ce qu’il pense, la littérature étant un moyen d’exprimer ce qu’il ne peut pas dire dans ses fonctions officielles. L’ouvrage émane à la fois d’un numéro de revue, des actes d’une journée d’étude en 2018, et d’écrits inédits de chercheurs français, africains et coréens. L’idée était de montrer que son œuvre est lue à travers le monde. Chacun des huit contributeurs propose deux articles permettant de traverser l’ensemble de sa production romanesque et d’y opérer des coups de sonde ou des coups de projecteurs sur une fiction, une figure particulières. Avec notamment un éclairage sur l’importance de l’enquête et des récits de filiation. Deux courants dont il fut le précurseur en littérature africaine. Un focus sur la figure artistique et politique de la diva africaine est également proposé. Lopes étant un des premiers à écrire un roman sur le sujet.
Quelle différence avec le second ouvrage « Henri Lopes. Un art du roman démocratique » ?
Le roman est un genre littéraire qui s’est, en Occident, imposé avec la démocratie. Dans cette monographie, j’étudie plus particulièrement la question démocratique en Afrique à travers l’œuvre romanesque de Lopes. Je montre notamment comment cette dernière peut se lire comme un tableau des débuts, des débats et des déboires de cet horizon social, culturel et politique, et ce à travers trois verbes : construire la démocratie, vivre la démocratie, écrire la démocratie. Qu’est-ce qu’une vie démocratiquement bonne ? Cette question d’une éthique démocratique se pose dans les espaces publics, mais aussi privés : comment la démocratie se vit-elle par exemple dans le couple africain, mixte ou européen ? Sans oublier de se concentrer sur certaines figures démocratiques, celle de l’homme politique, ou celle du professeur… Dans l’ouvrage, je m’intéresse également à l’écriture d’un roman démocratique, où l’art de conter est inspiré de l’oralité en mimant les différents parlers mais aussi de modèles narratifs comme l’enquête qui fait du lecteur l’enquêteur lui-même. Henri Lopes a par ailleurs développé une forme d’écriture plagiaire, une sorte d’art avoué du plagiat qu’il met en scène dans ses romans. C’est une façon pour lui d’établir une forme de communisme littéraire. Pour lui, la littérature est un espace de liberté politique.
Propos recueillis par Marion Riegert