Symbole du voyage moderne, idéalisée ou dénoncée, la croisière donne lieu à différentes représentations. Embarquement immédiat avec Christine Peltre, chercheuse au sein de l’unité de recherche Arts, civilisations, histoire de l'Europe, qui dirige l’ouvrage collectif La croisière : imaginaires maritimes (19e-21e siècles) paru en janvier 2021.
25/02/2021
« Le livre est l’occasion de s’interroger sur une forme de voyage que Maria Casarès, dans une lettre à Albert Camus, voyait comme un « répit du monde » », souligne en préambule Christine Peltre qui évoque « une odyssée au long cours » débutée à travers un séminaire international initié en 2013, puis enrichie au fil d’autres escales par des chercheurs en histoire, histoire de l’art et arts visuels.
« La croisière est un mode de voyage moderne qui nait autour des années 1840 et se pratique en solitaire ou en communauté avec l’apparition de navigations collectives. » Ce voyage d’agrément peut revêtir différentes formes, buissonnière ou plus organisée comme celle des croisières savantes, dans une orientation archéologique. « La croisière voit également apparaître à la barre des figures féminines, ce qui correspond à leur émancipation contemporaine. Le tableau de la couverture, de l’artiste strasbourgeoise Marcelle Cahn, peut en être le reflet. »
La Grèce une destination privilégiée
Dans ces imaginaires maritimes, la Grèce tient une place de choix et demeure une destination privilégiée, choisie par exemple par la jeune Edith Wharton à l’aube de son destin littéraire. « Beaucoup de croisières hissent le pavillon homérique », souligne la chercheuse qui compare ce mode de voyage à un atelier de création.
Artistique d’abord. Elle peut donner lieu à une vision réaliste comme dans les peintures de James Tissot, ou orientaliste dans le cas des représentations du canal de Suez. Le paquebot peut également être utilisé comme modèle architectural, pour la volumétrie d’ensemble ou les dispositifs intérieurs. Sans oublier le cinéma où les évocations du naufrage se situent aux frontières du fantastique.
L’envers de la mer
Littéraire ensuite. A l’image d’Henri de Régnier pour qui la croisière traduit plutôt les hésitations d’un parcours contrarié. Mais ces échappées sublimées ont aussi leur face sombre, comme le suggère le récent roman de Marie Darrieussecq, La Mer à l’envers. Passeurs de civilisation, les navires peuvent se révéler comme des mondes très narcissiques enfermés sur eux-mêmes. C’est ce qu’évoque Roland Barthes pour qui le Nautilus de Jules Verne représente « le coin du feu parfait » opposé au bateau de Rimbaud, « frôleur d’infinis », qui dit « je» .»
Le côté artificiel et égoïste est dénoncé par certains artistes contemporains comme Hans Op de Beeck pour lesquels le paquebot devient une allégorie de la société capitaliste. Avec parfois deux destins opposés qui se croisent sur les flots, lorsqu’un radeau de migrants tente d’atteindre la rive pour des raisons bien différentes…
Marion Riegert