La pornographie, une industrie alimentée par la traite d’êtres humains ?

09/11/2021

Doctorant de l’Institut de recherches Carré de Malberg, Nicolas Bauer s’est penché sur l’industrie pornographique et en a conclu qu’une partie était alimentée par la traite des êtres humains. Pourtant, d’après lui, la pornographie est la grand oubliée de la lutte contre la traite.

Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?

À l’occasion de la Journée européenne contre la traite des êtres humains le 18 octobre, j’ai été invité à prononcer un discours devant le Conseil de l’Europe. Il m’a paru important de rappeler que la traite ne se réduit pas à la « traite négrière » et au commerce triangulaire du 18e siècle. Le phénomène est beaucoup plus large et toujours actuel. En droit international, la traite des êtres humains a été définie en 2000, dans le protocole de Palerme, élaboré sous l’égide des Nations unies. La traite est aussi une infraction pénale en droit français, depuis 2003. Elle consiste à recruter une personne, par la force ou la tromperie, en vue de l’exploiter. Les États ont l’obligation internationale de lutter contre la traite. Le cas de traite le plus répandu dans le monde occidental est le trafic sexuel. Il alimente la prostitution, mais aussi l’industrie pornographique.

Comment cette traite peut-elle alimenter la pornographie, alors même que celle-ci est légale et réglementée ?

Deux producteurs et acteurs français ont été mis en examen pour traite d’êtres humains aggravée. Ils ont été diffusés, notamment, par les leaders du marché pornographique français. D’autres enquêtes pénales sont en cours, visant des acteurs, ou encore le site « Jacquie et Michel ». Médiapart dit avoir pu consulter une partie de ces dossiers. Des femmes ont subi, avant même leur recrutement, abus, viols, menaces et tromperies. Dans les tournages, certaines pratiques peuvent être qualifiées de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au-delà des plaintes d’actrices, il existe de nombreux témoignages concordants, relayés par des associations.

Ce sujet est-il traité par les institutions de défense des droits humains ?

Un rapport sur la traite a été publié en juillet 2020 par ONU Femmes et un organe de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Il contient 78 recommandations aux États, la dernière d’entre elles aborde la « traite à des fins de production de pornographie ». Il est précisé que les États ne devraient pas oublier de lutter contre cette traite. Ceux-ci sont également incités à analyser le lien entre la pornographie, la violence en ligne et l’objectivation sexuelle des femmes. Cette recommandation n°78 est à saluer, car elle reste isolée. Jusqu’à présent, les rapports des instances internationales sur la traite des êtres humains s’intéressaient à la pédopornographie, mais pas à la pornographie en général. Pour que ce lien entre pornographie et traite soit creusé, j’aimerais saisir plusieurs mécanismes internationaux, dans le cadre du European Centre for Law and Justice, l’ONG dans laquelle je travaille. Je pense à certains organes et Rapporteurs spéciaux de l’ONU, ainsi qu’à un groupe d’experts du Conseil de l’Europe.

Propos recueillis par Marion Riegert

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