Le Père Noël, un hors la loi ?

16/12/2021

Violation des frontières, travail forcé… Si le Père Noel n’est pas une ordure, il n’en reste pas moins un délinquant en puissance, faisant fi de toute règle de droit. A l’occasion des fêtes de fin d’année, trois juristes, chercheurs et professeurs de droit, ont soumis Papa Noël aux réglementations en vigueur.

Franchissement incontrôlé et non déclaré des frontières en traineau

Raphaël Maurel / Maître de conférences en droit public à l'Université de Bourgogne

« Tout indique que le Père Noël déteste le droit international, et que le droit international déteste le Père Noël. D’abord, il ne cesse de violer la souveraineté nationale, par le franchissement incontrôlé et a priori non déclaré des frontières en traineau – engin dont on ne sait même pas s’il relève de l’aviation civile internationale ou de l’espace extra-atmosphérique, mais qui devrait dans tous les cas être immatriculé dans son pays de lancement. Ces activités n’atteignent pourtant pas le seuil de gravité d’une « agression » en droit international : la transgression de la souveraineté des États, une fois par an, relève plutôt de l’incident diplomatique si l’un des États survolés venait à s’en plaindre. Surtout, la responsabilité internationale d’un individu ne peut pas être engagée : seule celle d’un État, à raison d’un fait internationalement illicite – une action ou une omission – qui lui serait imputable pourrait l’être. Les États ne peuvent donc pas faire grand-chose à cet égard, sauf s’il était démontré un contrôle d’un État sur les activités illicites du Père Noël. »

Travail et disparition forcée de lutins

Raphaël Maurel

« Si le Père Noël ne peut que difficilement être tenu responsable, par la communauté internationale, de ses déplacements, sa responsabilité internationale pénale peut être engagée. Il existe depuis les années 1940 des crimes si graves qu’ils en sont « internationalisés » : crime de guerre, d’agression, contre l’humanité. Or, on peut se demander si le Père Noël n’en a pas commis plusieurs. On pense au travail forcé des lutins, victimes directes d'une exploitation inhumaine contestable au regard des standards de l'Organisation internationale du travail – sont-ils seulement majeurs ? Par ailleurs, qui a vu des lutins ces dernières années ? Ne s’agit-il pas là d’une disparition forcée des lutins, que personne n’a aperçu depuis des générations, voire d’un crime contre l’humanité ? Il est urgent que les États se saisissent de cette problématique, à commencer par le Canada où il semble résider : soit en le jugeant, soit en le déférant à la Cour pénale internationale dont il a ratifié le Statut de Rome en 2000. »

Circuits courts et syndicalisme

Nicolas Moizard / Chercheur à l'Institut du travail

« Il existe un Père Noël présent sur le territoire français depuis la relocalisation des activités et la préférence pour les circuits courts. Les lutins obéissent aux ordres du Père Noël dans son atelier. Ils sont donc ses salariés. Pour l’instant, pas de lutins ubérisés. L’activité est intense. Difficile parfois de respecter le repos quotidien de 11 heures par jour et les pauses de 20 minutes toutes les 6 heures. La plus grande crainte du Père Noël est de voir partir les lutins. Il invite le syndicat général des lutins à une négociation. Un deal est en vue. »

Jouets défectueux

Nicolas Kilgus / Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Strasbourg

« « Il me tarde tant que le jour se lève, pour voir si tu m’as apporté, tous les beaux joujoux que je vois en rêve … » (extrait de Petit Papa Noël). Un cri déchire pourtant la douce matinée ! Le jouet tant attendu est défectueux. Réflexe de juriste : assigner le Père Noël ! À toute vitesse, un Code civil (autre cadeau) est déballé. Son article 1 245 dispose que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». Formidable ! Le Père Noël pourrait être concerné par ce texte qui vise, « lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante » (art. 1 245-5). Il fabrique effectivement – via ses lutins, préposés – les jouets qu’il livre. Et la forme juridique du dessaisissement du produit – ici à titre gratuit – n’empêche pas l’application du texte. Il reste alors toutefois à évoquer la nature de la défectuosité : « un produit est défectueux […] lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (art. 1 245-3). Courrons donc vers l’enfant en pleurs et cherchons à en savoir davantage. Si le jouet ne fonctionne simplement pas, ce régime spécifique de responsabilité ne peut être mobilisé (il restera au plaideur la possibilité d’évoquer l’inexécution contractuelle, mais uniquement si un contrat avait été conclu avec le Père Noël). En revanche, si l’objet présente un problème de sécurité, ce régime de responsabilité pourra être utilement mobilisé. Victoire ! Ou peut-être pas … si l’enfant pleure car il s’est blessé, Noël est gâché ! »

1 Nous ne prendrons pas en compte le caractère international de la situation. Pour les besoins de l’exposé, le Pôle Nord est en France.

Propos recueillis par Yann Basire et Marion Riegert

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