Le petit monde fabuleux d’Edouard Chatton

27/01/2021

Qui est Édouard Chatton, ce biologiste dont la carrière scientifique explose lors des 13 années qu’il passe à l’Université de Strasbourg et qui a donné son nom à une salle de cours de l'Institut de zoologie ? Réponse avec Catherine Jessus, chercheuse CNRS à l’Institut de biologie Paris-Seine, qui s’est intéressée à ce chercheur à travers un livre.

Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant Edouard Chatton a marqué l’histoire de la biologie. « À partir d’observations très pointues, il tirait une vision très large du monde vivant, avec une grande rigueur scientifique et un goût pour les développements technologiques », raconte Catherine Jessus qui découvre le biologiste en 2018 alors qu’elle dirige l'Institut des sciences biologiques du CNRS (INSB). « J’étais en visite à l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer. Son directeur, Vincent Laudet, m’a montré dans les archives des planches murales dessinées par Edouard Chatton. Je ne savais pas alors qui il était », poursuit la biologiste fascinée par l’esthétique de ces grandes planches colorées d’1 m 60 par 1 m 10 réalisées à la craie et au pastel.

Microalgues, amibes… elles représentent des protistes, ces êtres vivants formés d’une seule cellule qui pullulent dans toutes les eaux, et qu’Edouard Chatton a étudiés avec passion toute sa vie. Destinées à illustrer ses cours de licence, les planches n’ont pas la précision des dessins scientifiques mais multiplient les couleurs. Soit 125 au total, mais seule 72 ont été retrouvées dont 32 à la station marine. « A l’époque les laboratoires faisaient appel à des dessinateurs pour réaliser les dessins scientifiques. Edouard Chatton, qui était aussi peintre amateur, illustrait lui-même ses articles. » De cette trouvaille, Catherine Jessus et Vincent Laudet décident de faire un « beau livre » mêlant dessins et aspect scientifique. Pour ce faire, la chercheuse épluche archives, correspondances et rencontre ses petits-fils.

Recherches et combats

Pour Edouard Chatton, tout commence à Paris où, après ses études, il est embauché par l’Institut Pasteur de 1907 à 1919. Lors de la Première Guerre mondiale, il mène de front recherches à l’Institut Pasteur de Tunis et combats dans les tranchées du nord de la France puis dans le sud tunisien. Après quoi, de 1919 à 1932, il rejoint l’Université de Strasbourg comme maitre de conférences dans la chaire d’Eugène Bataillon dont il deviendra titulaire et professeur à son départ.

« Pendant la période allemande, l’Université de Strasbourg était très moderne et bénéficiait de gros moyens. Quand la France la récupère à la fin de la guerre elle la soutient financièrement pour maintenir son niveau et procède au recrutement de chercheurs de talent. » A Strasbourg, Edouard Chatton s’investit dans l’enseignement, c’est là qu’il réalise ses planches tout en continuant de passer tous ses étés dans les stations marines de Roscoff et Banyuls pour y prélever des échantillons d’eau de mer, source majeure de protistes. Egouts, abattoirs, marais salants ou lacs vosgiens… toutes ces eaux et bien d’autres n'échappent pas non plus à ses analyses.

Se rapprocher de la mer

En 1932, il quitte Strasbourg pour travailler près de la mer, d’abord à Montpellier puis à Banyuls-sur-Mer en 1937 pour y diriger la station marine. Un rêve qui tourne court avec la Seconde Guerre mondiale. En 1944, le village est évacué. Quand il y revient, tout est dévasté. Pendant un an, le biologiste réinstalle la station mais n’en profite pas. Il décède à 63 ans des suites d’un AVC.

« J’ai l’impression de connaitre Edouard Chatton », sourit Catherine Jessus qui évoque une belle figure, source d’inspiration pour les chercheurs du 21e siècle. « Dès 1927, il prône l’interdisciplinarité. Il était curieux, visionnaire, très libre d’esprit, capable de s’affranchir des dogmes et en a d’ailleurs renversé certains. Il avait la passion de la recherche, si on ne l’a pas on ne peut pas faire ce métier... »

Marion Riegert

Les planches murales d'Edouard Chatton

Quatre découvertes réalisées à Strasbourg

Plus d'informations

1925, le père des procaryotes et des eucaryotes. « A Strasbourg, Edouard Chatton étudie une amibe qu’il a récoltée dans le bassin des crocodiles du Museum de Paris, mais impossible pour lui de la classer, si bien qu’il la nomme « Pansporella perplexa ». Ses réflexions sur Perplexa l’amènent à proposer une réorganisation de l’arbre du vivant en deux catégories, auxquelles il donne un nom : les « procaryotes », cellules sans noyau et les « eucaryotes », cellules avec noyau. Catégorie dans laquelle il met les protistes et les êtres multicellulaires », détaille Catherine Jessus. Un cadre qui définit encore aujourd’hui le monde vivant.

1929-1931, l’organisation des cils et flagelles par une cellule. « Selon le dogme en vigueur à l’époque, la formation des cils et des flagelles dans une cellule se faisait par un mécanisme d’auto-organisation obéissant à des lois physico-chimiques. Chatton démontre que les cellules héritent en fait lors de la division de petits granules à la base des cils qui permettent de reformer une ciliature. Il n’y a pas de néoformation, mais bien l’héritage d’une organisation due aux granules. »

1923-1931, la sexualité des protistes. « Le dogme voulait que les échanges de matériel génétique entre deux protistes, ce qui caractérise la reproduction sexuée, soient déclenchés par leur programme génétique. En étudiant des protistes dans l’intestin d’une mouche drosophile, Edouard Chatton observe que la reproduction sexuée a lieu dans un endroit précis. Il suppose qu’elle est provoquée par des facteurs environnementaux comme l’acidité ou la présence de bactéries, et non uniquement par une commande génétique interne. Et c’est ce qu’il démontre à Strasbourg, renversant à nouveau un dogme », explique Catherine Jessus, qui précise qu’Edouard Chatton travaillait avec son épouse, Marie Chatton, rencontrée à Banyuls-sur-Mer durant ses études. « Il lui a tout appris et signait ses papiers avec elle. »

1921, un régulateur à fléau bimétallique pour thermostats à chauffage électrique. L’ingéniosité d’Édouard Chatton déborde du champ de la biologie. « Peu convaincu par les feux de gaz qui chauffent les étuves de laboratoire, Chatton les équipe de chauffages électriques. La température étant instable, il invente un thermostat ! » Une invention dont s’équiperont de nombreux laboratoires par la suite.

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