[Série] Regards croisés de chercheurs sur la Covid-19 : Histoire des sciences. Pendant que la vaccination contre la Covid-19 se déploie sur le territoire non sans difficultés logistiques, le lobby anti-vaccins se fait entendre, notamment sur les réseaux sociaux. Alors les français, hostiles aux vaccins ? Éléments de réponse à travers l’histoire de la vaccination avec Christian Bonah, professeur en Histoire des sciences, qui situe le nœud du problème dans la relation entre politiques et citoyens.
02/02/2021
A la fin du 19e siècle, Louis Pasteur a une intuition géniale en mettant au point le premier vaccin produit à l’ère de la microbiologie moderne : le vaccin contre la rage. La rage est provoquée par un virus, que Pasteur ne peut « voir » - on arrivera à isoler les virus vers 1930 seulement- mais il fait le lien entre la maladie, un agent pathogène et la possibilité de provoquer une réponse immunitaire maitrisée chez un patient en utilisant une version atténuée de l’agent pathogène. Il invente ainsi la technique du vaccin à partir de souches atténuées, et aussi une des premières formes de thérapeutique réellement efficace de l’Histoire. S’en suivra la création du puissant Institut Pasteur, qui va développer toute une panoplie de vaccins et s’attaquer à des maladies infectieuses mortelles comme la tuberculose.
A cette époque, le pays est clairement pro-vaccin : d’abord la méthode est rapidement maîtrisée, ensuite, elle s’avère très efficace pour lutter contre les pandémies, et enfin l’État l’encourage. Seule la logistique ne suit pas bien : les infrastructures de santé publique peinent à atteindre les objectifs de vaccination qui permettraient d’assurer l’immunité collective. « On peut parler d’utopie contrariée de la santé publique en France. Et il y a une conséquence : si on n’atteint pas l’immunité collective, si l’on ne peut pas suivre correctement les résultats, c’est l’efficacité même de la vaccination qui est remise en cause, et cela donne aux français une première raison de douter. »
L’obligation de vaccination : une erreur politique ?
« A la fin de la seconde guerre mondiale, la mise au point des antibiotiques va à nouveau bouleverser la donne. » Les antibiotiques présentent l’avantage de traiter et de guérir des malades, contrairement aux vaccins qui imposent de traiter préventivement des personnes dont on ignore si elles croiseront et développeront ou pas la maladie. Mais pour certaines maladies infectieuses bactériennes et pour les virus, les antibiotiques sont inopérants et on ne trouve pas de traitement : par exemple, les premiers antibiotiques, la pénicilline, ne marchent pas pour la tuberculose.
En 1951, le BCG est rendu obligatoire dans l’objectif d’éradiquer cette maladie. « Pour moi, c’est un point de bascule : rendre ce vaccin obligatoire va créer la première forme d’opposition à la vaccination. Cette opposition s’attache surtout à la restriction de liberté, elle n’est pas uniquement médicale. C’est sans doute pour éviter un effet de ce type que le gouvernement actuel n’a pas rendu le vaccin contre la Covid obligatoire ».
On perçoit pourtant des différences de perception dans l’opinion, en fonction des maladies visées par les vaccins : « la vaccination contre la poliomyélite, seul moyen de lutter contre cette maladie gravissime, qui frappe les enfants, n’a jamais été contestée de la sorte. A partir des années 50, la France parvient aussi à surmonter ses difficultés logistiques (son utopie contrariée de la santé publique) en investissant une spécialité médicale naissante de la responsabilité de la vaccination : les pédiatres. « Ceux-ci sont encore aujourd’hui les médecins les plus favorables à la vaccination, une courroie de transmission de la santé publique ».
Pas d’alternative biomédicale solide
Le débat se tend à partir des années 80 autour de l’opportunité de certaines campagnes de vaccination qui paraissent moins essentielles ou moins efficaces : par exemple contre les maladies infantiles désormais moins fréquentes ou le papillomavirus. L’idée émerge que l’industrie pharmaceutique doit « placer ce qu’elle trouve », sur fond de scandales de santé publique. « Le sang contaminé, le Médiator, le manque d’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour les maladies orphelines : tout concourt à faire prendre conscience de la financiarisation du secteur des produits de la santé. On est très loin des années 30, de la recherche de médicaments « éthiques » - produits selon de bonnes règles scientifiques et avec un intérêt pécuniaire raisonnable -, déconnectée du profit et parfois même de la rentabilité. »
Une forme de contestation supplémentaire émerge dans les années 90 autour du Sida et de la mobilisation des malades et de leurs familles. La structuration de mouvements comme Act Up, qui défendent les intérêts des patients, forme un contre-pouvoir pertinent et vite puissant. Les lobbys anti-vaccins reproduisent le même type d’organisation, suivent leur exemple, « mais avec un fondement qui est plus contestable ».
« Voilà dans quel contexte arrive l’épidémie de Covid et la campagne de vaccination associée. Aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative biomédicale solide à la vaccination pour lutter contre la Covid. Et d’ailleurs, on peut constater qu’une majorité des français semble y être favorable et souhaite se faire vacciner. Mais la contestation existe, même si elle s’appuie peut-être davantage sur un manque de confiance à l’égard de l’action publique, notamment en matière de « santé » que sur le procédé de la vaccination lui-même. »
Caroline Laplane
- Pour aller plus loin sur les recherches de Christian Bonah lire aussi : « Aucune épidémie n’avait jamais autant circulé » et sur la vaccination : "ARN et Covid-19, les mécanismes du virus passés à la loupe."
Regards croisés de chercheurs sur la Covid-19
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Psychologie, éthique, économie, histoire, virologie… nous sommes partis à la rencontre de chercheurs de différents domaines de l’Université de Strasbourg pour apporter un éclairage sur la crise du coronavirus.