Gammes, rythmes, accords, échelles… en musique, les structures peuvent s’étudier grâce aux mathématiques. Passionné par ces deux disciplines, Moreno Andreatta, chercheur invité (Fellow Usias) à l’Institut de recherche mathématique avancée (Irma), a lancé le projet Structural music information research (SMIR). Un an après son commencement, le chercheur dresse un premier bilan de ce projet dédié à la recherche structurelle de l’information musicale dont l’objectif ambitieux à terme serait de créer un logiciel collaboratif sur le web.
14/06/2018
Le projet SMIR fédère mathématiciens, musicologues et compositeurs du conservatoire, en lien avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) de Paris, institut auquel est rattaché Moreno Andreatta en tant que directeur de recherche au CNRS. Ce projet s’attaque à la compréhension de la structure musicale en utilisant l’algèbre, la géométrie, la topologie et la théorie des catégories. Le tout, dans les musiques savantes contemporaines, mais aussi les musiques actuelles : de la pop à la chanson en passant par le rock, le jazz et l'impro...
Comment ça marche ? Le problème de départ est musical. « C’est un questionnement qu’un compositeur ou un analyste se pose et qu’il peut nous soumettre », explique Moreno Andreatta qui prend l’exemple de la construction d’un canon de type Frère Jacques dans lequel on aurait privilégié la structure rythmique. « La contrainte, c’est qu’il faut que chaque percussionniste joue le même pattern rythmique à la suite et qu’à chaque instant il n'y ait ni de musiciens qui jouent au même moment ni de silence. »
Réaliser un environnement informatique pour les musicologues
Une fois le problème identifié, il entre dans le champ des mathématiques où la première étape est de le formaliser. « A partir de l’énoncé obtenu le résultat est généralisé pour trouver un théorème. » Ensuite, les chercheurs retournent dans le champ de la musique avec l’application du théorème. « Nous pouvons alors aller vers la composition, la théorie musicale ou l’analyse. » Au milieu de tout cela, l’informatique fait le lien afin de permettre au compositeur d’appliquer les résultats obtenus. « Et pour cause, on ne peut pas donner au compositeur un théorème ! »
Pour ce faire, les chercheurs utilisent OpenMusic, un environnement de programmation graphique conçu à l'Ircam et dédié à la composition musicale assistée par ordinateur. « Le projet SMIR est en train de donner lieu à pas mal d’algorithmes qui peuvent être intégrés dans cet environnement », détaille Moreno Andreatta qui s’intéresse également à la réception de l’auditeur. Au terme de son projet, le chercheur aimerait aboutir à la réalisation d’un environnement informatique permettant aux musicologues et aux compositeurs d’analyser la musique et de composer d’une façon très intuitive. Le tout, sous la forme d’un logiciel ouvert et collaboratif sur le web.
Les chansons hamiltoniennes, des tubes en devenir?
En attendant, Moreno Andreatta a d’ores et déjà testé l’algorithme du projet SMIR auprès de ses étudiants de licence en musiques actuelles pour analyser notamment des chansons du répertoire italien et français, de Paolo Conte à William Sheller. Il en ressort des trajectoires dans des espaces géométriques, une caractéristique propre à chaque musicien, ce qui permet d'aborder la question du style en musique de façon originale. Le programme vise également à créer de nouvelles chansons.
Moreno Andreatta travaille notamment sur les chansons hamiltoniennes, dans lesquelles les progressions harmoniques décrivent des trajectoires passant par tous les accords de l'espace, sans utiliser deux fois le même accord. « Nous en avons déjà enregistrée et proposée une au prix Andrée Chedid du poème mis en musique. Actuellement, nous sommes en train de réaliser une chanson hamiltonienne à partir d’un titre de Pink Floyd, l’idée étant de l’harmoniser avec ces procédés pour créer une nouvelle chanson qui serait harmoniquement encore plus riche que la celle d'origine. Même si pour le moment ce ne sont pas des tubes, enfin...pas encore ! », sourit le chercheur.
Marion Riegert le 14.06.2018
Mathématiques et musiques, une histoire, deux passions
Good to know
Tout au long de son parcours Moreno Andreatta n’a eu de cesse de mêler mathématiques et musiques. « Mon père était pianiste, je pianote depuis mes trois ans. » Attiré par les mathématiques, le jeune homme d’alors décide d’étudier cette matière à l'Université de Pavie, en Italie, jusqu'au niveau master. En parallèle, il poursuit la musique et obtient le premier prix du conservatoire de piano. « Je m’intéressais alors à la composition et à l’analyse musicale. » A la suite d’une année d’étude en Angleterre, il a l’idée de rassembler ses deux passions dans un parcours académique. Moreno Andreatta commence alors un master en musicologie computationnelle à Paris et poursuit en doctorat au sein de l’Ircam. Période pendant laquelle, il joue également du piano dans les Bateaux parisiens où il s’essaye à tous les styles de musique. « C’est une activité formatrice qui m’a permis de créer un répertoire assez important et de comprendre la place de la musique dans un certain contexte où elle doit intéresser sans déranger. » En 2010, le chercheur réalise son habilitation à diriger des recherches en mathématique/musique à Strasbourg, grâce aux collaborations établies avec des chercheurs de l'Irma et du département de musicologie. Cette année, il est co-commissaire de l’exposition du Centre Pompidou : « coder le monde » qui met le thème du codage à l’honneur dans différentes disciplines dont la musique.