Exit cadeaux et autres roses parfumées, pour sortir des sentiers battus de la Saint-Valentin, nous avons décidé de nous pencher sur les amours adolescents LGBTI (lesbienne, gay, bisexuel, transgenre, intersexe) avec Thierry Goguel d’Allondans, anthropologue.
13/02/2018
Thierry Goguel d’Allondans, professeur associé à l’École supérieure du professorat et de l'éducation, a effectué des recherches sur les adolescents. En 2013, à la demande de collègues québécois, il s’intéresse aux LGBTI. Ce formateur à l’Institut de formation au travail éducatif et social, réalise alors des entretiens jusqu’en 2016 avant de rédiger un ouvrage sur le sujet intitulé Ados LGBTI. Les mondes contemporains des jeunes lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, intersexes sorti en 2017. Une synthèse de ses recherches a également été publiée dans la Revue des sciences sociales 58 consacrée à L’Amour, les amours. (cf. encadré)
Pour son ouvrage, Thierry Goguel d’Allondans rencontre plus d’une centaine d’adolescents et recueille les histoires de vie de 20 jeunes âgés de 17 à 22 ans. « Je me suis aperçu que les recherches précédentes ne s’intéressaient qu’aux difficultés, j’ai donc décidé de ne pas en parler. Les adolescents rencontrés sont dans un environnement familial bienveillant même si ce n’était pas toujours facile pour eux de s’assumer. Je me souviens d’un papa qui m’a dit : « on a fêté la naissance d’une fille, mais il a fallu faire le deuil d’un garçon. » » Durant ses investigations, le chercheur commence par tordre le coup à ses idées reçues. « J’étais persuadé que c’était abusif de parler d’homosexualité pour les adolescents, car c’est le temps de l’expérience. J’étais dans l’erreur. Pour certains, c’est venu tôt, bien avant la puberté. »
Des jeunes très traditionalistes
Selon lui, les débats autour de la GPA, de la PMA ou encore la légalisation du mariage pour tous ont permis à ces jeunes d’aspirer à devenir des couples comme les autres. « Ils sont très amoureux, se projettent dans l’avenir. Ils revendiquent le droit à la visibilité de cet amour mais aussi à l’indifférence. D’ailleurs, le directeur du Refuge de Montpellier, lieu d’accueil des jeunes homosexuels et transsexuels, m’a fait remarquer qu’à partir du moment où ils sont acceptés, ils ne sont plus obligés de surjouer (les femmes camionneuses, les hommes efféminés...) » En revanche, ces adolescents sont effrayés par la stigmatisation de leurs enfants futurs. « Une des personnes que j’ai rencontrée m’a dit qu’il faudrait peut-être des crèches pour les homosexuels », se souvient l’anthropologue. Un autre, de 15 ans, évoque un pays rien que pour les gays. « Il y a une ouverture même s’il y a des peurs ici ou là. »
Loin des rencontres éphémères, les adolescents rencontrés aspirent à la fidélité, à des amours qui durent. « Même si l’affirmation de soi passe par une sexualité un peu débridée à l’adolescence, ils ont rapidement envie d’être en amour stable. Ils sont très traditionalistes et finissent par être critiques envers les sexualités volages », explique le chercheur qui évoque des adolescents assez fleur bleue impactés par la culture queer.
Thierry Goguel d’Allondans note cependant une différence entre les adolescents rencontrés et leurs ainés. « Ces derniers sont amers car ils les trouvent moins politisés. Les jeunes sont très partisans du coming out, c’est une nécessité absolue, ils sont dans l’affirmation de soi plus que dans l’affirmation politique.» Et inversement, les adolescents sont plus critiques vis-à-vis notamment des Gay Pride. « Ils sont ouverts à l’altérité, plus que les plus âgés qui ont été victimes de répression et favorisent l’entre-soi.» La liberté apparait comme une de leurs revendications principales. « Ils n’ont pas envie de se laisser enfermer dans des cases. Ils refusent la binarité du monde, et se disent pourquoi pas? »
Marion Riegert
Un numéro de la Revue des sciences sociales sur l’Amour
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Amour chez les écrivains, sites de rencontre en Inde, exploration des libertins ou encore discours publicitaires… Outre les amours LGBTI, le numéro 58 de la Revue des sciences sociales sorti en janvier explore la question de l’amour sous différentes formes à travers le regard de chaque contributeur. Objectif : « Voir si cette figure idéale de l’Amour avec un grand « A » sera appelée à résister aux transformations observée aujourd’hui dans la sexualité, dans les rapports de genre, à l’échelle du couple ou de la famille », explique Patrick Schmoll, membre du laboratoire Dynamiques européennes, qui a coordonné ce numéro intitulé L’Amour, les amours. Ce dernier s’est lui-même intéressé à cette question dans le cadre de ses propres recherches : «Je travaille depuis plusieurs années en anthropologie des techniques, notamment à partir des jeux vidéo, et ce numéro me donne l’occasion de traiter de « l’emotional design » de ces jeux : comment tombe-t-on amoureux d’un être artificiel ? »