Martial Guédron, chercheur en histoire de l’art dans l’équipe Arts, civilisation et histoire de l'Europe (Arche) a récemment publié le livre Les monstres : Créatures étranges et fantastiques, de la préhistoire à la science-fiction, paru aux éditions Beaux-Arts. Son regard sur la représentation des monstres de la préhistoire à aujourd’hui dans le monde occidental pose la question de ce qu’est réellement un monstre.
03/05/2019
« La première fois que les Occidentaux ont vu un rhinocéros, ils ont d’abord pensé que c’était une licorne », raconte Martial Guédron. « Les créatures monstrueuses intriguent », explique ce spécialiste de l’histoire de l’art. Les gens s’interrogent face une réalité qu’ils ne comprennent pas. « En observant les otaries au loin, les navigateurs les ont pris pour des sirènes, à cause du mythe d’Ulysse. » A partir de traditions orales, les monstres sont décrits dans les encyclopédies naturalistes de l’Antiquité. Accompagnés d’illustrations, elles perpétuent des rumeurs pas toujours fondées. « On invente des images et on finit par y croire », constate le chercheur. « Comme aujourd’hui, on ne prend plus le temps de vérifier les sources, on peut montrer une image trafiquée et dire que c’est une preuve. »
« Chaque nouvelle découverte scientifique crée un monstre », note Martial Guédron. La conquête spatiale, la guerre atomique et le clonage sont autant de sources d’inspiration pour créer les aliens, les mutants et « ressusciter » les dinosaures. « On aime se faire peur pour se rassurer après. » « Peut-être pas après le 41ème film sur Godzilla », ironise-t-il. Gare à la lassitude des amateurs de films de science fiction ! Mais il y a encore un paquet de monstres à sortir de nos placards. « Les insectes peuvent encore faire peur », glisse le chercheur, image d’une araignée géante à l’appui.
Des monstres pour avertir et montrer
De par son origine latine « monere », un monstre signifie avertir, montrer quelque chose. « Dans les contes, on parle du méchant loup pour mettre en garde les jeunes filles contre des viols dans les forêts », raconte l’historien. « La Gorgone présente à l’entrée des temples grecs est là pour les protéger », poursuit Martial Guédron. Des têtes de dragons trônant sur les casques de guerrier pour intimider l’adversaire, des dents de licornes contre le mauvais sort, le monstre est perçu de manière différente selon le contexte. « King Kong peut être vu comme un innocent sorti de son milieu naturel, métaphore des ravages de l’Homme sur la nature. »
À bas les préjugés, un monstre n’est pas forcément moche ou méchant. La preuve en est entre d’un côté « un vampire avec le physique d’un jeune premier » et de l’autre « Elephant man », un homme inoffensif dont le visage est effroyablement déformé. « Un tueur en série est qualifié de monstre », constate Martial Guédron, citant le célèbre Hannibal Lecter. Sans compter certaines formes de « monstruosité fabriquée » par l’abus de chirurgie esthétique. Mais c’est un autre débat…
Vanessa Narbonne