Au terme de 10 ans de recherche, une équipe internationale composée de chercheurs français, anglais ou encore danois, a mis en évidence les plus vieilles traces fossiles de déplacement datée de 2,1 milliards d’années contre 570 millions pour les précédentes. Retour avec François Gauthier-Lafaye sur cette aventure dans le gisement fossilifère gabonais qui a mené les chercheurs de découvertes en découvertes.
16/04/2019
François Gauthier-Lafaye, chercheur aujourd’hui retraité du laboratoire d’Hydrologie et de géochimie de l’Université de Strasbourg, travaille sur le Gabon depuis 1974. En 2008, il reçoit un coup de fil d’Abderrazak El Albani, chercheur à l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers. « J’ai été le premier qu’il a appelé. Abder avait un doctorant d’origine gabonaise à qui il avait proposé de travailler sur cette région. En se rendant dans le bassin de Franceville, il a trouvé un peu par hasard « une roche étrange qui ressemblait à un fossile » », raconte François Gauthier-Lafaye.
Des traces fossilisées de déplacements
Une fois rentré à Poitiers, le géologue demande à un technicien d’analyser la roche à l’aide d’un tomographe qu’il venait d’acquérir. « Tout l’intérêt était de connaitre l’âge du sédiment. Mais c’est aussi ce qu’il y a de plus dur, nous avons travaillé durant des années pour être le plus fiable possible », poursuit le chercheur qui précise que la datation a profité des réacteurs nucléaires naturels contenus dans un gisement d’uranium.
La découverte du fossile est suivie d’une série de missions « dont une en 2015 avec Francis Weber, mon ancien directeur de thèse et collègue qui avait plus de 80 ans. » Dans cet écosystème marin primitif, les chercheurs remarquent dans la roche des traces fossilisées de déplacements. Ces dernières sont analysées et reconstituées en 3D par micro-tomographie aux rayons X, une technique d’imagerie non-destructive.
« Une bataille pour publier »
« Elles sont la preuve de la présence d’organismes pluricellulaires suffisamment sophistiqués pour pouvoir se déplacer à travers de la vase riche en matière organique », souligne le géologue qui précise que cette biodiversité qui s’est développée dans un milieu marin calme et peu profond arrive au moment où l’oxygène apparait sur Terre. « C’est comme une boite enregistreuse de ce moment qui nous a fait aller de surprise en surprise. »
La découverte fait ainsi reculer la date d’apparition d’une vie pluricellulaire sur Terre d’environ 1,5 milliard d’années, passant de - 600 millions à - 2,1 milliards d’années. « En géologie l’apparition de la vie pluricellulaire ne pouvait pas s’être développée au-delà d’un milliard d’années. C’était un tabou. Ça a été une bataille pour publier. » Les chercheurs mettront 10 ans à faire accepter l’idée…
Marion Riegert
- Pour aller plus loin lire l’article publié dans le journal scientifique PNAS le 11 février 2019 et sur le site du CNRS.
Une découverte peut en cacher une autre
Good to know
Durant la mission de 2015, Francis Weber croise la route d’un géologue du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui venait de terminer une synthèse géologique du Gabon. « Il voulait l’avis de Francis Weber sur la série sédimentaire qui affleure dans l’Est du Gabon. De notre côté, depuis longtemps, nous nous posions des questions sur le domaine occidental où s’est formé une grande chaine de montagne entre 2400 et 2100 millions d’années et sur lequel nous avions peu de données. » La mise en parallèle des différents rapports aboutit à un article présentant un modèle de formation de la chaine Eburnéenne de l’Ogooué. « Cela nous a permis de faire la synthèse géologique du Gabon après presque 70 ans de missions, mais aussi de remettre l’âge des fossiles dans un contexte géologique. Mon testament scientifique, avec Francis a été cet article ! C’est ma plus grande joie, comme un puzzle qui s’est réalisé. »