Les souvenirs de lecture retrouvés de Jeanne Proust

22/06/2020

En fouillant les archives de textes de Proust laissées par l’éditeur Bernard de Fallois à sa mort, Luc Fraisse découvre des inédits de l’auteur. Il en retire un premier ouvrage : Le mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites. Durant ses investigations, ce professeur de lettres à l’Université de Strasbourg déniche un autre trésor, le livre des souvenirs de lecture de Jeanne Proust, la mère de Marcel Proust, qu’il publie en mars 2020.

« Nous savions que Jeanne Proust était une femme cultivée qui a consacré beaucoup de temps à lire, elle notait des citations dans un cahier qui a disparu dans les années 50 », raconte Luc Fraisse qui retrouve le petit ouvrage couvrant des lectures de 1890 à 1904 dans les archives de Bernard de Fallois (lire notre article du 17/10/2019).

Epaulé par Laurent Angard, un de ses étudiants, le chercheur se lance alors dans un véritable travail d’investigation pour retrouver la source de toutes les citations, 154 au total, dont la référence était souvent incomplète. « Parfois il n’y avait que des initiales. » Son ouvrage, Souvenirs de lecture, retranscrit cette recherche en présentant les citations assorties de commentaires. A la fin, le cahier original de Jeanne Proust est reproduit.

Compte rendus de séances à l’Assemblée nationale, écrits littéraires… le cahier permet d’entrer dans l’intimité de madame Proust et de sa famille. « Jeanne Proust a traversé le second Empire et a connu le début de la Troisième République. Ses lectures sont intéressantes notamment du point de vue de l’évolution du statut de la femme », souligne Luc Fraisse qui relève plusieurs citations sur le mariage, les enfants, la maison, la mère. Sans oublier des extraits d’ouvrages politiques traduisant un goût de l’état et de l’ordre.

« Une pelote d'épingles qui aurait conscience de son état »

Jeanne Proust, d’origine juive mais de culture catholique, cite également les moralistes. « Elle n’a pas un œil critique ou contestataire mais garde un regard à distance sur la piété notamment. » Dans son cahier aussi, des bons mots comme celui de personnes prenant l’édit de Nantes pour Lady de Nantes. Ou des histoires cocasses à l’image d’une femme de la noblesse qui ne pouvant dormir seule avait trois suppléants pour combler l’absence de son mari. « Ils dormaient à tour de rôle à ses côtés dans un sac décousu le matin par ses domestiques pour prouver que rien ne s'était passé durant la nuit. »

Des lectures qui traduisent le double aspect de la femme, femme d’intérieur et femme d’avenir aux centres d’intérêt variés « avec une émergence de la conscience de soi qui se retrouve dans cette citation extraite de La Boule, une comédie en quatre actes d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy de 1874 : « Ma vie !... était celle d'une pelote d'épingles qui aurait conscience de son état. » Elle consigne aussi « chers bienfaiteurs et trices », le début de l’écriture inclusive. »

Un troisième ouvrage en préparation

Impossible de savoir si Marcel Proust a lu ce journal « mais nous savons qu’il a baigné dans cette culture », précise Luc Fraisse. L’écrivain était très proche de sa mère avec qui il échangeait de nombreuses lettres. « Quand Proust se met en tête de traduire John Ruskin c’est elle qui, parlant anglais et allemand, chose rare pour une femme à l’époque, fait la traduction littérale des livres qu’il publiera. »

Jeanne Proust meurt en 1905 avant le début de l’écriture de la Recherche, mais à la lumière de son cahier de lecture, il semblerait que deux personnages aient été influencés par elle selon Luc Fraisse. La grand-mère du héros d’abord qui a beaucoup de lectures de la mère de Proust et Mme de Villeparisis qui a la culture parlementaire et politique de cette dernière. « C’est passionnant d’entrer dans cette caverne d’Ali Baba », sourit Luc Fraisse qui loin de s’arrêter en si bon chemin prépare un dernier ouvrage d’inédits retrouvés pour 2021.

Marion Riegert

Plus d'informations

Née en 1849 et morte en 1905, Jeanne Proust, née Weil, est issue d’une famille juive venue d’Allemagne au 18e siècle. Après avoir habité l’Alsace, les Weil se retrouvent à Paris au 19e siècle. Riches commerçants, leur famille compte un ministre de la justice, Adolphe Crémieux.

Jeanne Weil épouse Adrien Proust, fils d’épicier issu d’une famille modeste de province. Ce mariage témoigne de la volonté d’intégration de la famille de Jeanne Weil. Quant à Adrien Proust, il lui permet d’accéder à une bonne situation et de devenir professeur de médecine à Paris. Célèbre épidémiologiste, il sera l’un des fondateurs du cordon sanitaire. Ensemble, ils auront deux enfants, Marcel en 1871 devenu écrivain et Robert Proust en 1873 qui officiera en tant que chirurgien. Ce dernier publiera lui-même les œuvres posthumes de son frère.

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