« Les terroristes adhèrent à une logique paranoïaque qui incite à la vengeance »

12/01/2017

Plus de deux ans après les attentats de Charlie Hebdo, les actes terroristes continuent d’endeuiller l’actualité. Comprend-on bien le fonctionnement psychologique des terroristes ? Peuvent-ils prétendre à une normalité psychique ? Patricia Cotti, maître de conférences au laboratoire Subjectivités, lien social et modernité, explore ces questions sous l’angle de la psychanalyse et de la psychopathologie, en procédant à des études de cas approfondies, une approche qu’elle estime encore trop souvent ignorée en France. Interview.

Comment vous intéressez-vous au terrorisme ?

Depuis plus de cinq ans, je cherche à comprendre le cheminement personnel de ceux qui commettent des actes de violence contre autrui et eux-mêmes au nom d’une cause politique ou religieuse. J’ai commencé par travailler sur le terrorisme d’extrême-droite avec le cas Anders Breivik. J’ai eu la chance de bénéficier de beaucoup de documents, de tous les actes du procès, de toutes les expertises psychiatriques... Je me suis également beaucoup intéressée aux frères Tsarnaev, auteurs des attentats de Boston, J’ai comparé le fonctionnement psychique de terroristes suprématistes ou d'extrême droite avec celui de terroristes islamistes.

Qu’avez-vous pu mettre en évidence ?

Leurs idéologies semblent contradictoires, mais on remarque que ces terroristes partagent certains fonctionnements psychopathologiques et ce que j’appelle un chemin de radicalisation violente. D’une façon générale, la logique paranoïaque  contient et oriente les tendances pathologiques. Du point de vue psychique, des modes de fonctionnement tels que la projection ou le clivage signent bien souvent l'existence de troubles psychotiques, quelquefois associés à un passé violent ou de délinquance. On relève également des problèmes d'identifications (sexuelles, de genre ...) sous la revendication identitaire (religieuse, politique ou ethnique), une mégalomanie et une crainte de la faiblesse souvent associée au féminin.

L’adhésion à une idéologie terroriste implique-t-elle un changement de personnalité ?

Oui et non. Ce changement n'est qu'apparent. Au fond, il s'agit de l'expression d'un potentiel de fonctionnement latent : internet ne retourne pas la tête de quelqu'un qui est bien dans ses baskets ! La radicalisation donne simplement un thème qui permet au fonctionnement pathologique de se renforcer. De plus, l'idéologie radicale garantit une place dans la société, dans le débat politique, et fournit une explication qui dédouane l'individu pour ses échecs personnels tout en rendant légitime  la violence.

En analysant le parcours de terroristes, que comprend-on ?

Bien souvent, ces personnes ressentent un préjudice personnel qui est déplacé sur une cause politique ou religieuse à laquelle elles s’identifient. Dès lors, le vécu individuel n’est plus remis en question. Mohammed Merah n’a jamais pu comprendre la violence intrafamiliale qu’il a subie. Il n’a jamais pu critiquer un de ses frères qui l’avait quasiment torturé. Ce sont des proies faciles pour les recruteurs. Très souvent, chez les terroristes, l’acte perpétré se conjugue à une vengeance personnelle née d’une frustration ou d’une humiliation. Larossi Abballa est allé tuer chez lui un policier qu'il avait très certainement rencontré auparavant  dans une affaire de délinquance.

Le terrorisme interroge donc la psychopathologie ?

La problématique du terrorisme et de la radicalisation touche tous les champs de la société : politique, religion, sociologie et donc aussi, la psychologie. Mais les recherches menées en psychopathologie sont encore trop souvent dédaignées, ces aspects n’étant pas perceptibles immédiatement. Ils exigent une grande expérience de la psychopathologie, de la psychiatrie, et une possibilité d'investigation.  A ce titre, la difficulté d’obtention de documents sur les terroristes français est une perte énorme pour la recherche ! Plus il y aura de transparence, mieux on connaîtra le parcours personnel des terroristes. Ces clés de compréhension serviront de contre-exemple aux potentielles recrues qui pourront s'interroger sur elles-mêmes et de début d’explication pour les victimes. Elles sont également essentielles pour améliorer notre compréhension de la menace terroriste et faciliter le choix de politiques préventives.

Propos recueillis par Ronan Rousseau

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