Mediator, aux origines du scandale

25/10/2019

Le procès du Médiator a commencé depuis plus d’un mois. Le scandale révélé par la pneumologue Irène Frachon oppose les laboratoires Servier aux patients depuis plusieurs années. Rencontre avec Solène Lellinger, chercheuse au laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe qui a choisi d’aborder le sujet dans sa thèse sous l’angle socio-historique.

En préambule, qu’est-ce que le Mediator ?

Le benfluorex (Mediator) est un médicament commercialisé en 1976 par les Laboratoires Servier comme traitement des troubles du métabolisme (régulation du taux de sucre ou du cholestérol). Souvent utilisé en complément de traitements ciblés, il visait à anticiper certaines maladies, notamment cardio-vasculaires, liées au surpoids ou à l’obésité. Le Mediator résulte d’une recherche plus large menée par le laboratoire concernant les dérivés d’amphétamines avec la mise sur le marché d’autres molécules utilisées comme coupe faim. A la fin des années 90, ces dérivés sont retirés du marché car ils posent des problèmes cardiaques. Le Mediator, lui, est interdit dans les préparations en pharmacie mais pas sous forme de comprimé. C’est à ce moment qu’il commence à être détourné comme coupe faim. Le benfluorex est retiré du marché en 2009.

Quelle est votre méthode d’enquête ? Qui avez-vous interrogé ?

Mon travail consiste notamment à repérer les différents niveaux de disfonctionnement. J’ai mené une première enquête à travers l’envoi d’un questionnaire auprès des cardiologues. Il contient des questions sur leurs pratiques, leur connaissance des causes des valvulopathies… Sur les 6 000 cardiologues que compte la France, j’estime avoir pu en toucher 4 000, j’ai eu 303 réponses dont 173 exploitables. Une deuxième enquête est réalisée auprès des usagers afin de mieux connaître leur profil sociologique, de comprendre de quelle manière ils ont été informés et voir s’ils ont entrepris des démarches pour obtenir une indemnisation. J’ai eu 136 retours sur 200 questionnaires. Tous ont pris du Mediator mais n’ont pas forcément développé une pathologie cardiaque.

Pourquoi la pathologie n’a-t-elle pas été repérée plus tôt ?

Les enquêtes institutionnelles ont montré qu’il y a eu un disfonctionnement systémique concernant le système de régulation du médicament qui a été réformé suite au retrait du Médiator. En parallèle de leurs conclusions et du procès en cours, mon hypothèse est qu’à partir des années 70, il y a eu un essor de l’échographique, la technique s’affinant peu à peu. Certains nouveaux signaux observés sont perçus comme une variation des valvulopathies rhumatismales plutôt que médicamenteuses. Une erreur que les cardiologues ont des difficultés à reconnaitre, même après le retrait, c’est une remise en cause de leur savoir existant.

Quel est le profil des patients ?

Certains, qu’ils aient ou non développé la maladie, se perçoivent comme victimes et sont dans une démarche de demande d’indemnisation, d’autres non. La difficulté de mobilisation des victimes s’explique notamment par des caractéristiques socio-démographiques. Ce sont principalement des femmes entre 45 et 65 ans vivant en zone rurale ou dans de petites villes, percevant des revenus inférieurs à 1 800 euros par mois et ayant fait peu d’études. Peu informées, elles sont parfois perdues dans les démarches avec une disparité dans leur prise en charge : associations, avocats spécialisés ou non dans ces questions.

Et maintenant ?

Depuis la fin de ma thèse, je m’intéresse toujours au Mediator mais sous d’autres aspects : autour de la notion de conflit d’intérêts au sein du projet Medici, je suis également le procès à partir des archives du web dans le cadre de Body Capital. Durant ma thèse, j’ai été frappée par l’idée que se font les gens des médicaments. Certains ne comprennent pas qu’ils puissent faire du mal. Pour réfléchir aux moyens d’informer les différentes parties, depuis peu, je fais partie du Comité d’information des produits de santé au sein de l’Agence du médicament.

Propos recueillis par Marion Riegert

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