Alexis Zimmer, chercheur au sein de l’unité mixte de recherche Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe, s’intéresse à la mise en banque des microbiotes intestinaux, la multitude de microorganismes que recèlent nos intestins. Des microbiotes « en danger » prélevés dans les excréments de populations autochtones, une pratique qui pose différentes questions, notamment éthique.
14/10/2021
Alexis Zimmer commence à s’intéresser à la mise en banque des microbiotes intestinaux lors de son dernier post-doctorat à Paris en 2018. « J’avais fait un master en biologie, j’avais envie de revenir à cette discipline. » Sa recherche s’inscrit dans les « science studies » et l’anthropologie de la nature, deux champs qui se développent depuis plus de 40 ans. Le premier interroge les conditions de production des savoirs scientifiques et des technologies, ainsi que leurs conséquences. Tandis que le second s’intéresse davantage aux rôles d’autres acteurs que les humains sur nos manières de « faire société » : « comment notre société est façonnée par des relations avec les téléphones, les virus... », explique Alexis Zimmer qui s’intéresse aux savoirs et pratiques scientifiques liés aux microbiotes humains.
« Un humain sans microbes a peu de sens », glisse le chercheur qui en lisant un ouvrage de Martin Blaser, pape du microbiote aux États-Unis, est interpellé par son diagnostic : l’effondrement de la biodiversité dans l’environnement se constate également dans nos intestins avec un impact sur notre santé. Pour étudier cela, des biologistes collectent des excréments de peuples autochtones qui semblent posséder une microbiodiversité plus grande que celle des habitants urbains des pays du nord.
Pas loin du biocolonialisme
« Quelles sont les conséquences politiques, sociologiques, économiques de ces recherches ? Qu’est-ce qu’il a fallu pour que cette recherche émerge faisant apparaitre les microbes comme acteurs positifs de la santé ? », interroge Alexis Zimmer qui décide de suivre le travail de biologistes d’un laboratoire du MIT de Boston. « Ces prélèvements mis en banque pourraient faire émerger de nouveaux agents thérapeutiques susceptibles de générer des profits, ce qui pose des questions politiques et éthiques. »
Le sociologue évoque aussi la partie terrain des biologistes. « De quelle manière demandent-ils des excréments aux populations, comment sont-ils reçus, perçus, etc. ? Nous ne sommes pas loin du biocolonialisme en cherchant une matière susceptible d’être valorisée d’un point de vue économique par les pays du nord… Comment faire en sorte que les populations sur lesquelles les excréments sont prélevés ne soient pas spoliées ? Ce sont des communautés déjà malmenées, mon travail a notamment pour but de faire en sorte que ces recherches ne soient pas l’occasion d’un mal de plus. »
Une écologie complexe
Autre problématique, la conservation de ces microbiotes dans des frigos. « Le microbiote est une écologie complexe qui se transforme en fonction du milieu dans lequel elle se trouve. Certaines bactéries ne peuvent plus être réactivées une fois congelées, dire que l’on conserve cette biodiversité c’est donc fabuler, on ne conserve pas, on n’en produit une autre. Ce que j’apprends aux scientifiques, c’est aussi à parler plus précisément de ce qu’ils font », poursuit le chercheur qui note déjà des modifications des pratiques.
Et de conclure : « Le microbiote est un bon laboratoire pour comprendre des habitudes qui perdurent : plutôt que d’interroger nos modes de vie et nos fonctionnements, la logique reste celle de produire plus de savoir scientifique pour réparer ce que nos modes de vie altèrent. »
Marion Riegert