C’est sur cette question épineuse qu’a décidé de se pencher le Forum européen de bioéthique du 28 janvier au 2 février 2019 à Strasbourg. Eléments de réponse avec Jean-Luc Nancy, professeur émérite de la faculté de philosophie, qui intervient lors de la conférence « Se voir dans le miroir et croire que l’on peut en maîtriser le reflet. »
28/01/2019
« Descartes disait : « Je ne suis pas dans mon corps comme un pilote dans son navire, je lui suis intimement lié » », rapporte Jean-Luc Nancy qui souligne que malgré cette affirmation le dualisme s’est perpétué : une âme ou un esprit dans un corps qui en serait la propriété. « Le corps était alors du côté du mal, du pêché. »
Une forme de superstition
Un non-sens désormais pour le philosophe. « Le corps c’est ce qui fait que nous sommes tournés vers l’extérieur sans opposition avec une intériorité car on ne peut pas la trouver. L’âme, c’est tout un ensemble qui s’exprime. Le corps c’est exister, en latin, littéralement, être dehors. La méditation elle-même passe par le corps, c’est d’abord un exercice physique. »
En philosophie, la question de l’appartenance du corps a commencé à se poser au 20e siècle. Une interrogation devenue centrale dans les greffes d’organes. « Est-ce qu’on peut prendre le cœur d’un mort pour le transplanter sur quelqu’un qui en a besoin ? Il y a eu beaucoup de réactions opposées à ça. L’idée de la propriété est d’ailleurs souvent surtout celle des proches qui souhaitent garder un corps intact. » Le tout, en lien avec une forme de superstition « car une fois le corps enterré, quelques années après, il ne reste plus rien », précise le chercheur lui-même greffé du cœur depuis 29 ans.
« Aucun organe isolé n’est la personne »
« Des questions se posaient à l’époque pour savoir si on attrapait la personnalité de l’autre, il y a même eu des études. » Pour le philosophe, « Le cœur de quelqu’un d’autre n’apporte pas son âme. La « personnalité du cœur » c’est son immunité physique qui fait qu’il peut être rejeté. Mais ce n’est pas la personne ! Aucun organe isolé n’est la personne»
Alors suis-je propriétaire de mon corps ? « Je répondrai simplement non. J’appartiens à mon corps, je suis mon corps. Petit, grand, malade, il forme un caractère. On ne dirait pas par exemple, je suis propriétaire de mon esprit. Plus notre connaissance du corps avance, plus il apparait difficile de dire où il commence et où il s’arrête. « Psyché est étendue » a écrit Freud… » Et de conclure : « La meilleure preuve c’est que quand il est mort, je suis mort aussi. »
Marion Riegert
- Jean-Luc Nancy intervient dans la conférence « Se voir dans le miroir et croire qu’on peut en maîtriser le reflet », mardi 29 janvier de 10h à 12h.
- Retrouvez l'intégralité du programme sur le site du Forum européen de bioéthique.