Nouvelle recrue chez les anticorps armés

18/06/2020

Une équipe réunissant des chercheurs de plusieurs laboratoires strasbourgeois a cherché à développer de nouvelles propriétés chez les anticorps dits « armés », souvent utilisés pour lutter contre les cancers. Le résultat de leur recherche est publié dans Scientific reports, une revue du groupe Nature.

« Une notion fondamentale en chimie est l’existence de molécules hydrophiles – qui aiment l’eau – et de molécules hydrophobes », explique en préambule Victor Lehot, chercheur au sein de l'équipe de chimie biofonctionnelle (UMR 7199). Toutes les cellules humaines sont entourées d’une barrière lipidique, hydrophobe, qui les isole entre elles. Cette membrane joue un rôle de frontière essentiel et régule les échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Une manière de se représenter cette interaction peut être de visualiser le comportement d’huile et d’eau versées dans le même contenant : les deux liquides ne se mélangent pas.

 « En chimiothérapie, la plupart des molécules toxiques utilisées sont hydrophobes. Lorsqu’elles rencontrent la membrane lipidique elles parviennent à la traverser parce qu’elles ont à peu près la même nature. Le problème : ces molécules ne font pas la différence entre cellule saine et cellule cancéreuse », résume Victor Lehot. Ce manque de précision est en partie responsable du nombre important d’effets secondaires qu’entraîne une chimiothérapie.

Plus soluble et plus précis

Une méthode pour pallier ce défaut est l’utilisation d’ADC (anti-body drug conjugates en anglais) aussi appelé anticorps armé. L'anticorps, une famille de protéines, est hydrophile, il se dissout facilement dans l’eau. La propriété qui le rend très intéressant pour les traitements ciblés est sa capacité à reconnaître différentes cellules. Grâce à une petite molécule supplémentaire appelée le bras espaceur, il est possible de connecter un anticorps aux molécules toxiques. Une sorte de GPS pour éviter la destruction importante de cellules non ciblées.

Mais même en utilisant un anticorps, des problèmes persistent. Les molécules toxiques se détachent parfois de leur véhicule et pénètrent dans des cellules non ciblées. Il arrive également que le duo d’éléments conjugués en rencontre un autre, ce qui entraîne leur précipitation et les rend inactifs. « Au départ, notre motivation était principalement d’augmenter la solubilité des anticorps armés. Nous voulions dépasser les limites que posait le système actuel, mais aussi en tester une variation possible », explique Igor Dovgan, premier auteur de l’article et membre de l’équipe du LabEx Medalis.

L’intoxication de cellules du groupe contrôle

Les chercheurs décident de remplacer le bras espaceur qui reliait les éléments conjugués par deux brins d’ADN. Le premier brin est posé sur l’anticorps, le deuxième sur la molécule médicamenteuse, et la liaison naturelle de l’ADN forme le conjugué. « Un effet intéressant de ce nouveau composé a été observé dans les cas de décrochage de la molécule médicamenteuse. Avec le bras espaceur, elle se détacherait seule et entrerait facilement dans des cellules saines. Dans notre conjugué, si elle se détache, elle entraîne son brin d’ADN avec elle, ce qui pourrait réduire ses chances de rentrer dans une cellule non ciblée car il est hydrophile et ne traverse pas facilement les membranes des cellules », constate Victor Lehot. « Conjuguer des anticorps à des brins d’ADN est une technique de plus en plus utilisée en chimie. C’est pour cette raison qu’il est important d’en apprendre le plus possible sur les effets et les interactions de ces conjugués anticorps-ADN », rappelle Igor Dogvan.

« Un effet inattendu de notre étude a été une faible intoxication de cellules du groupe contrôle, ce qui va à l’encontre de notre volonté de départ, mais constitue une découverte intéressante », poursuit le chercheur. Cette toxicité des conjugués de l’équipe du LabEx Medalis pose de nombreuses questions et notamment est-ce que le fait de conjuguer de l’ADN sur un anticorps peut l’amener à reconnaître des cellules qu’il ne ciblerait pas en temps normal ?  « La suite du projet consistera à approfondir ce point à travers notamment le travail d’un doctorant», conclut Victor Lehot.

Léa Fizzala

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