Objet d’architecture, les fenêtres ornent notre quotidien. Pascal Dethurens, membre du centre de recherche l’Europe des lettres, a décidé de s’intéresser à ce motif plus complexe qu’il n’y parait, véritable métaphore de la peinture et de la littérature, à travers un ouvrage intitulé L’Œil du monde, images de la fenêtre dans la littérature et la peinture occidentales, paru en mars dernier aux éditions L’Atelier contemporain à Strasbourg. De quoi changer de regard sur cette ouverture qui donne sur le monde…
29/05/2018
Stendhal, Proust, Baudelaire… Pour écrire son ouvrage, Pascal Dethurens choisit de partir d’auteurs et de peintres qu’il connait et de relire ou de revoir leurs œuvres à la recherche de fenêtres. Soit au total une centaine de peintres et autant d’écrivains en guise de corpus. Au fil de ses recherches, le professeur de littérature comparée enquête sur ce motif dont la symbolique n’est pas toujours compréhensible au premier abord, ce qui l’oblige à approfondir ses lectures.
C’est le cas avec un épisode de la Chartreuse de Parme de Stendhal. « Il y a un moment où Fabrice, emprisonné, regarde par la fenêtre et peut apercevoir Clélia, la femme qu’il aime. Il voit aussi les Alpes et une cage avec des oiseaux. Je trouvais cela incompréhensible. » En se souvenant que Stendhal avait une passion pour l’opéra, Pascal Dethurens découvre le sens de cette mystérieuse fenêtre : il interprète alors cette scène comme une réécriture de la Flûte enchantée.
Un révélateur
Durant ses investigations, le chercheur note que la fenêtre possède une multitude de rôles. Perçue notamment comme un seuil, elle est une cloison entre le monde extérieur et intérieur. « Souvent, on s’aperçoit que les personnages, dans la littérature comme dans la peinture, sont intéressés par ce qu’il y a dehors. La fenêtre, pour eux, fixe la croyance que le sens de la vie est ailleurs. »
La fenêtre n’est pas seulement un objet d’architecture, elle fonctionne aussi comme un œil du monde, elle fabrique le regard et peut agir comme un révélateur. Par exemple, dans la peinture de Metsys, le Prêteur et sa femme, un petit miroir placé devant les personnages reflète un homme derrière une fenêtre lisant un livre sacré. « La fenêtre contient ainsi la morale du tableau, à savoir : que la femme ferait mieux de lire son livre d’heures plutôt que de compter ses sous. »
Le lieu des rendez-vous amoureux
Autre exemple en littérature, celui du Désert des Tartares : un personnage dans un château fort guette l’arrivée des Tartares durant toute sa vie. Avant de partir à la retraite, il lance une dernière fois un regard par la fenêtre et ne voit rien. En chemin, il s’arrête dans un hôtel, regarde par la fenêtre, voit les Tartares, et meurt à ce moment-là. « Toute sa vie, il a regardé un avenir qui n’est jamais venu sauf quand il a compris que c’était trop tard… »
Lieu de révélation, la fenêtre qui devrait être vue comme une séparation est ouverte dans les grands moments de bonheur intense. « C’est le lieu des rendez-vous amoureux comme dans Roméo et Juliette. Souvent, chez Shakespeare, le monde est représenté comme fait de cloisons, la fenêtre permet d’ouvrir, d’apporter de l’air, de réunir deux espaces », explique Pascal Dethurens. Un bonheur de l’ouvert qui se retrouve chez Matisse : « Il disait aimer les fenêtres car elles permettent de mettre sur le même plan l’intérieur et l’extérieur. Chez lui, on est à la fois dedans et dehors, présent vers l’ailleurs, l’au-delà, l’inconnu. La fenêtre permet de dire je suis là sans y être… »
Marion Riegert
Etudier les fenêtres, « une espèce d’évidence »
Good to know
L’idée de Pascal Dethurens, chercheur spécialiste de la littérature européenne au 20e siècle, de travailler sur les fenêtres est née il y a quelques années. « Quand je ne donne pas cours, je passe mon temps à écrire, les idées viennent toutes seules, c’est parfois problématique… Dans le cas des fenêtres, c’était une espèce d’évidence », raconte ce chercheur, membre du centre de recherche l’Europe des lettres. « Souvent, on entend dire que la littérature est une fenêtre ouverte sur le monde. Mais on entend aussi l’inverse lorsque des auteurs disent que le but de la littérature n’est pas de s’ouvrir sur le monde mais d’inventer un monde à part. Il faudrait savoir ! » Un phénomène que l’on observe aussi en peinture : « un tableau, cela cache, ou cela montre ? » Partant de cette interrogation, Pascal Dethurens décide de se pencher sur le sujet afin de questionner ces deux visions opposées de la peinture et de la littérature. « La fenêtre est intéressante car elle permet de montrer certaines choses et d’en suggérer d’autres », souligne le chercheur. Pour tester son sujet, il y a cinq ans, Pascal Dethurens commence à donner un séminaire autour de ce thème à des étudiants de master avec différents corpus et en croisant différentes disciplines comme la littérature et la peinture. « J’ai toujours aimé trouver un sujet en lien avec ma recherche personnelle. Quand j’écris un essai, j’aime voir si ça prend avec les étudiants, si ça peut intéresser d’autres personnes, et inversement, rien ne nourrit autant la recherche que la réflexion avec les étudiants. Mes livres ne seraient rien sans eux.»