Changements corporels, passages scolaires, voyages, première cigarette, cuite ou encore premier amour… l’enfance et le début de l’âge adulte sont marqués par de nombreuses premières fois dont les incertitudes sont amplifiées par la maladie. Rencontre avec trois chercheuses de l'unité mixte de recherche Dynamiques européennes (Dyname) qui ont mené à une étude de 2018 à 2020 sur les passages d’âges et de services de jeunes atteints d’asthme ou de diabète de type 1 (Pasmac).
30/04/2021
Du service pédiatrique à la médecine adulte, un passage délicat
« A la puberté, les changements hormonaux viennent perturber le traitement. Pour les relations sexuelles, il faut se mettre à nu, certains jeunes portent des appareils sur eux, il y a un sentiment de perte de maitrise », souligne Nicoletta Diasio qui s’intéresse notamment pour cette étude au passage du service pédiatrique à la médecine adulte, un seuil délicat qui vient s’ajouter aux plus classiques de la période. « Il y a un changement de milieu, de professionnels de santé et un risque de décrochage. Ce passage est préparé en amont sur une période pouvant aller de 6 mois à deux ans, avec par exemple des doubles consultations avec l’ancien et le nouveau médecin. »
L’âge de ce passage varie en fonction des profils et peut aller de 15 à 22 ans. « Parfois il coïncide avec l’entrée à l’université. Si un diabète de type 1 est diagnostiqué après 16 ans, le jeune à tendance à être orienté directement vers un service adulte. Les dispositifs sont variés et dépendent aussi des ressources des centres hospitaliers », poursuit Nicoletta Diasio qui précise que les patients apprécient généralement les professionnels de santé et le fait d’avoir des ateliers pour accompagner les transitions. La place de la famille, et de la mère plus particulièrement, est également importante dans cette période qui n’est pas linéaire. « Tous ces passages constituent une épreuve où le jeune peut se sentir plus vulnérable et en même temps c’est le moment où il peut se prendre en charge et augmenter sa confiance en lui. »
La trajectoire d’enfants âgés de 6 à 14 ans, vers une autonomisation
Lydie Bichet effectue sa thèse financée par la région Grand-Est sur la trajectoire d’enfants âgés de 6 à 14 ans atteints de maladies chroniques. « Je suis allée faire des observations dans deux services pédiatriques hospitaliers du Grand Est. Je me rendais dans un des hôpitaux une fois par semaine », détaille la doctorante qui réalise une soixantaine d’entretiens avec enfants, parents et personnels hospitaliers dont certains sont réutilisés dans le cadre de l’étude Pasmac. Pour cette dernière, elle s’intéresse plus particulièrement aux parcours de soin et à l’autonomisation des enfants atteints de diabète. « Comment savoir quand ils deviennent autonomes des trajectoires de maladies ? Comment vivent-ils cette autonomisation et qu’est-ce que cela signifie pour eux ? », interroge Lydie Bichet qui souligne que les professionnels font attention à les autonomiser selon un rythme jugé approprié à leur âge.
« Il en ressort que pour les enfants l’autonomisation n’est pas linéaire. » Les premières fois sont complexifiées par la maladie avec le premier gouter d’anniversaire où les enfants doivent gérer la nourriture sans les parents. Le premier voyage scolaire qui est l’occasion de montrer aux médecins qu’ils sont aptes à se prendre en main. « Il y a des moments, souvent à l’extérieur, où ils veulent montrer qu’ils savent faire, et d’autres où ils souhaitent être soutenus. » L’autonomisation se retrouve également dans les traitements avec des accès à de nouveaux dispositifs dont ils peuvent se servir eux-mêmes, en fonction de leur âge.
Une semaine dans un centre pour jeunes asthmatiques
Ingénieure d’étude au laboratoire Dyname, Eva Laiacona est engagée dans le cadre de Pasmac pour réaliser un terrain. « Au départ j’avais prévu de faire des observations dans les hôpitaux, mais c’est un milieu difficile d’accès. » La jeune femme se rend finalement pendant les vacances scolaires dans un centre accueillant une cinquantaine de jeunes asthmatiques âgés de 7 à 18 ans à l’année, un des rares en France. La structure, accueille également du personnel médical et une dizaine d’éducateurs. Eva Laiacona passe une semaine complète sur place et réalise une observation de la vie quotidienne en participant aux activités du centre. « J’avais plutôt des interactions informelles avec les jeunes au jour le jour et surtout avec les filles. Ça a été dur de faire comprendre ce que je faisais. Quand je disais que j’étais sociologue, certains comprenaient sophrologue », sourit la jeune femme.
Pollution, logement insalubre qui amplifie la manifestation de l’asthme, parents qui ne suivent pas les traitements… Eva Laiacona est étonnée par ce qu’elle observe. « Les professionnels de santé disent que l’asthme se soigne très bien, ce qui pose problème c’est l’environnement dans lequel les jeunes vivent. Dans ce cas une population défavorisée. Ce sont les médecins qui veillent et poussent les familles à mettre les enfants dans ces structures. L’asthme devient alors un prétexte à leur prise en charge médicale mais aussi scolaire. » Pour préparer ces jeunes qui n’ont pas d’aidants au jour le jour à la sortie, la structure mise beaucoup sur l’autonomisation en matière de traitement mais aussi sur la création d’un projet de vie. « Pour le diabète, la transition est vue du passage d’un service pédiatrique à un service adulte. Là, c’est plus compliqué car il n’y a pas de structures similaires qui peuvent les prendre en charge, ils sont donc relâchés dans la nature. »
Marion Riegert
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Depuis 20 ans, la littérature scientifique s’interroge sur le meilleur moyen d’accompagner les jeunes vers l’âge adulte. Un groupe de 11 chercheurs des universités de Strasbourg et de Franche-Comté mené par Nicoletta Diasio (Dyname/Université de Strasbourg) et Virginie Vinel (Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Franche-Comté) s’est intéressé au passage d’âge et aux maladies chroniques à travers les pratiques des soignants. Le tout, via un projet de recherche, financé par l’Institut de recherche en santé publique et l’Inserm, mené de 2018 à 2020 essentiellement dans le quart est de la France auprès de 88 jeunes âgés de 12 à 21 ans vivant avec un diabète de type 1 ou de l’asthme et 75 professionnels de santé des hôpitaux et libéraux. Et ce à travers une méthode qualitative avec des entretiens et l’observation de consultations. Ainsi que des enquêtes quantitatives par des questionnaires en ligne sur toute la France.
« Nous avons voulu voir comment les enfants et les jeunes étaient actifs dans leurs parcours de soin. Leur usage des services de santé et comment eux et leurs familles les perçoivent. Et inversement comment les services de santé interviennent et organisent ces passages d’âge de l’enfance à l’âge adulte », explique Nicoletta Diasio. A l’issue, un colloque a été organisé début avril, des restitutions sont aussi proposées aux participants de l’étude ainsi qu’à tous les professionnels de santé qui le souhaiteraient.