Pornographie chez les plus jeunes, « le plus important reste le dialogue »

19/05/2021

Durant le confinement, il y a eu une explosion de la consommation de contenus pornographiques par les plus jeunes. Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la Faculté de théologie protestante, revient sur les problématiques que soulève le phénomène.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?

Je donne des cours en éthique au Centre européen d'enseignement et de recherche en éthique (Ceere). En 2016, nous avions invité Ruwen Ogien, philosophe aujourd’hui décédé, auteur de Penser la pornographique, pour débattre autour de ce thème. C’est dans ce cadre que je me suis intéressé à ce sujet. Pour lui, nous avons des devoirs envers autrui mais pas envers nous-même, la pornographie n’a donc pas d’effets néfastes car elle n’implique que soi. Pour moi, ce n’est pas un acte sans victimes, ne serait-ce que par l’addiction que les contenus pornographiques provoquent, mais aussi dans la consommation de pédopornographie qui implique la souffrance d’enfants. Plus récemment, au vue de l’explosion de la consommation de produits pornographiques, je me suis repenché sur la question pour un article dans l’hebdomadaire Réforme.

Qu’avez-vous observé ?

Il y a cinq ans, les sondages disaient que de plus en plus de femmes consommaient des produits pornographiques, depuis un an, du fait du confinement, les jeunes enfants ont été plus exposés. Les sondages et les études ont ainsi montré une forte augmentation de la consommation de produits pornographiques même chez les moins de 10 ans, notamment en raison du fait qu’ils disposent de smartphones assez tôt. Et ce que ce soit de manière involontaire au départ ou par mimétisme via des camarades d’école.

Quels problèmes cette exposition précoce pose-t-elle ?

Ce n’est pas une question de bien ou de mal mais un problème d’addiction, de dépendance et d’habitudes compulsives. Plus une addiction se prend tôt, plus elle sera prégnante ensuite. Autre problème : la découverte de la sexualité par ce biais, c’est-à-dire par un type de sexualité dans lequel les sentiments et la jouissance sont déconnectés. Ce qui pose un risque de réification de l’autre qui n’est alors pas quelqu’un que j’aime mais quelqu’un dont je tire un plaisir personnel. Une image délétère d’autant plus si elle survient avant la puberté. Le risque est également qu’une fois que l’enfant a pris gout à la consommation de ce type de produit, la sexualité va se conformer à ce modèle tourné vers la performance, la sienne mais aussi celle du partenaire. La performance étant déjà une valeur privilégiée de la société qui là s’invite dans la vie intime et peut être à l’origine de nombreuses déconvenues et conduire à la frustration jusqu’au mépris de l’autre et de soi.

Quels garde-fous?

Il faut inviter les parents à être vigilants vis-à-vis de ce que font leurs enfants. Revoir la nécessité d’avoir un smartphone avant tel ou tel âge et si l’enfant en a un contrôler ce qu’il y fait. Mais le plus important reste le dialogue, au niveau de la sexualité, ne pas être dans le non-dit ou le tabou. Si l’enfant est en contact avec la pornographie en parler pour expliquer la différence avec une sexualité dans l’amour. Pour Kant, il faut toujours considérer autrui comme une fin et non pas seulement un moyen, c’est ça qui produit la violence et les abus.

Propos recueillis par Marion Riegert

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