Quand les prénoms deviennent noms communs, petite histoire de linguistique

25/05/2018

Jean-foutre, catin, tanguy… Dans son ouvrage consacré à l’appellativisation du prénom paru en avril 2018, Vincent Balnat, chercheur au sein du laboratoire Lilpa (Linguistique, langues, parole), s’est penché sur le passage du prénom au nom commun, en allemand et en français et ce du 12e au 21e siècle.

Depuis 2012, Vincent Balnat épluche les dictionnaires. Plus de 80 au total, couvrant la période du 12e au 21e siècle, à la recherche des prénoms devenus noms communs. Il a réuni ses trouvailles dans quelque 280 pages de tableaux avant de les analyser dans son ouvrage. « J’ai dépouillé des dictionnaires français et allemands historiques et spécialisés, notamment des dictionnaires de l’argot, de la langue des jeunes, des déonomastiques (noms communs issus de noms propres)… parfois en ligne en faisant des recherches ciblées, d’autres fois manuellement. Le prénom est un élément très personnel, l’intérêt pour moi était de voir comment, à partir d’un élément individualisant, on arrive à des changements linguistiques, qui sont un phénomène collectif. »

Le jacky désigne le lourdaud, le rustre

Les noms de famille apparaissent au 12e siècle, période à laquelle les noms de baptême deviennent des « pré-noms ». La christianisation de ces derniers à cette époque crée une base commune permettant de comparer les deux aires linguistiques. « Dans les ouvrages, j’ai remarqué que souvent ce sont les mêmes types de prénoms en allemand et en français qui deviennent noms communs. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit souvent du nom de saints. » Les mécanismes ne sont donc pas liés en premier lieu à la langue elle-même, mais plutôt à des phénomènes culturels similaires.

Côté observations, Vincent Balnat note que ce sont essentiellement les prénoms très fréquents qui deviennent des noms communs, parfois avec l’ajout d’un autre élément, dans le cas des composés par exemple, avec souvent une signification péjorative. « Rappelons que les nobles souhaitaient se démarquer du peuple et, par conséquent, aussi de ses prénoms. » Le gros-jean désigne ainsi un idiot, marie-bon-bec, une femme bavarde, marie-salope ou marie-couche-toi-là, une prostituée. En français, le fritz est le surnom de l’Allemand. Le jacky représente le lourdaud, le rustre. La nana, la petite amie, vient d’Anna. Plus transparent, il y a aussi ton jules.

Deux prénoms pour 70% de la population

Certains prénoms sont utilisés pour désigner des métiers comme jacques-bonhomme pour le paysan. Sans oublier les animaux avec le perroquet, diminutif de Pierre, ou Marienkäfer, qui signifie la coccinelle en allemand, littéralement : le scarabée de Marie en référence à des représentations de la vierge avec une robe à pois. « Même les prénoms utilisés initialement avec un sens positif finissent par devenir négatifs », souligne le chercheur qui prend comme exemple le mot catin issu du prénom Catherine. « Au début, il désignait la jeune campagnarde non mariée. » Il y a aussi Benoît, celui qui est béni, gentil, qui a fini par devenir le benêt.

L’apogée de ces phénomènes a lieu au 19e et au début du 20e siècle mais l’individualisation dans le choix du prénom après la Première Guerre mondiale tend à changer cette tendance. « Au 16e siècle, dans un village, deux prénoms pouvaient être utilisés pour 70% de la population masculine ou féminine. Aujourd’hui, les prénoms les plus répandus ne concernent que 3% de la population. » Des phénomènes nouveaux apparaissent ainsi avec l’utilisation du prénom Kévin pour désigner un élève désinvolte ou l’arrivée des désignations à caractère raciste comme les mohammed ou les fatma, qui désignent l’ensemble des Maghrébins et Maghrébines en français. Sans oublier la marie-chantale, l’incarnation de la grande bourgeoise ou de la snob.

Marion Riegert

Côté recherche

Good to know

Chercheur au sein du laboratoire Lilpa (Linguistique, langues, parole), membre de la sous-équipe Gepe (Groupe d’étude sur le plurilinguisme européen), Vincent Balnat s’intéresse au lexique, au vocabulaire allemand, qu’il étudie souvent dans le cadre de travaux contrastifs avec le français. Il a rédigé une thèse sur les mots brefs notamment dans les sociolectes jeunes comme la langue du tchat avant de réaliser son habilitation à diriger des recherches sur L’appellativisation du prénom. Etude contrastive allemand-français qui a abouti à la publication de son ouvrage en avril 2018 chez l’éditeur Narr (Tübingen).

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