Depuis quelques mois, les tensions ne cessent de monter entre Vladimir Poutine et l’Otan. Dernier fait en date : l’envoi de troupes vers la Biélorussie par Vladimir Poutine. Le point avec Emilia Koustova, chercheuse au laboratoire Groupe d'études orientales, slaves et néo-helléniques.
24/01/2022
Quelle est la situation actuelle ?
Les tensions n’ont jamais été aussi fortes depuis la guerre froide, il y a une crainte d’emballement jusqu’aux armes nucléaires. Nous n’avions jamais atteint un tel niveau de tensions militairement parlant depuis le printemps 2014 et l’annexion de la Crimée, dans le sud de l’Ukraine, par la Russie. Depuis le 17 janvier, aux forces russes massées le long de la frontière avec l’Ukraine s’est ajouté l’envoi de troupes en Biélorussie où les Russes disent préparer des exercices militaires de grande ampleur. Vladimir Poutine prévoit ainsi un calendrier en deux étapes : le déploiement des troupes suivi d’un exercice en février. Dans la Méditerranée, une des inquiétudes est la livraison d’armes russes à des pays comme la Syrie pouvant notamment menacer les navires français.
Pourquoi maintenant ?
Vladimir Poutine est en train de préparer son bilan pour l’histoire, au bout de 20 ans passés au pouvoir. Marqué par l’écroulement de la puissance soviétique, puis la disparition de l’Union, il voudrait inscrire dans son bilan une revanche russe à l’international. Il cherche ainsi à s’approcher le plus possible de ce qu’a été la Russie dans l’Union soviétique qui contenait notamment l’Ukraine et la Biélorussie. Une autre hypothèse de lecture pointe les enjeux de la scène intérieure russe. Poutine est moins populaire qu’il y a 10 ans, le régime chercherait à utiliser l’outil d’une mobilisation nationale contre ce qui est présenté comme la menace étrangère. En cas de victoire cela consoliderait la société autour du pouvoir comme cela a été le cas en 2014. Mais la situation n’est pas la même qu’à cette période et je ne pense pas qu’une guerre en Ukraine orientale apporterait les mêmes avantages à Poutine que l’annexion de la Crimée.
A quand remontent ces tensions ?
Les tensions sont nées autour du projet pro-démocratie de l’Ukraine qui s’affirme dans les années 2000. L’Ukraine et la Géorgie sont deux pays faisant un choix pro-européen et cherchant à intégrer l’Otan mais vus par Moscou comme une chasse gardée. En prenant tout le monde de court, une première guerre éclaire et victorieuse contre la Géorgie en 2008 a témoigné de la nouvelle ambition russe dans ce qu’elle appelle son « étranger proche » et a montré qu’elle était prête à aller très loin. L’annexion de Crimée en 2014 l’a confirmé, en faisant passer les tensions à un niveau supérieur.
Comment se traduisent ces tensions sur le plan diplomatique ?
Depuis la Crimée, il y a eu différentes initiatives, venant notamment de la France, pour relancer le dialogue avec la Russie. La situation actuelle montre leur échec, d’autant que l’Europe est exclue de la négociation, la Russie faisant tout pour à la fois ignorer et diviser l’Europe. Elle cherche uniquement à traiter avec les Etats-Unis, dans une logique qui rappelle la guerre froide. En utilisant la menace militaire aux frontières ukrainiennes et européennes, le président russe souhaite obtenir des garanties de non-élargissement de l’Otan dans les territoires ayant appartenu à l’Union soviétique. Dans les Etats baltes, qui sont déjà membres de l’Otan, il demande le non-déploiement de certaines armes. L’Occident sera-t-il ferme face à cette pression ? Côté Etats-Unis, avec le retrait des troupes en Afghanistan, il y a une pression sur l’administration pour qu’elle se montre plus ferme en Ukraine. Il y a notamment des moyens d’action économiques, tels que le réseau SWIFT, dont la Russie pourrait être déconnectée, ou bien sûr le gazoduc Nord Stream 2. L’utilisation de ces moyens de pression aurait cependant un coût significatif pour les Etats-Unis et l’Europe, au sein de laquelle tout le monde ne serait pas affecté dans la même mesure.
Vladimir Poutine peut-il passer à l’action ?
Même les experts attitrés n’osent pas se prononcer. La question qui revient dans toutes les publications, russes, françaises ou encore anglaises étant de savoir si tout cela est un jeu dangereux de Poutine pour pousser les Occidentaux à faire des concessions diplomatiques ou est-ce qu’il est prêt à passer à une vraie agression visant l’Ukraine ?
Propos recueillis par Marion Riegert
Des tensions également sur le sol russe
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Nouveau recul pour les libertés en Russie, la dissolution de l’association Mémorial ordonnée par la Cour suprême de Russie. Une association russe visant à protéger les droits humains qui étudiait notamment les crimes du régime soviétique. « Pourquoi maintenant et de façon aussi violente ? », interroge Emilia Koustova qui évoque le cas d’autres dissolutions d’ONG et de mouvements contestataires en Russie.